Ma famille entre deux terres

La réalisatrice Nadja Harek propose une immersion dans l’intimité de sa propre famille pour mesurer les déchirements que peuvent occasionner l’immigration.

Thème(s): 
Public ciblé: 
Tout public
Genre: 
Documentaire
Durée: 
52 minutes
Langue: 
Français
Arabe
Lieu Concerné - ville: 
74300 - CLUSES
Algérie
Date de sortie: 
2015
Réalisateur / Réalisatrice: 
Nadja Harek
Production: 
Iloz Productions
Paris Brest Productions
Les 48e Rugissants

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Les 48e rugissants

18 Rue Jules Guesde 29 200 Brest

09 53 88 90 95

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Consultez la page internet officielle du film.

1. À la fois intime et universel,

2. Magnifiques paysages algériens et savoyards,

3. Regard complexe et riche sur l’immigration.

Derrière toute immigration se cache une histoire de vie. Nadja Harek retrace celle de sa famille, pour comprendre les raisons qui ont poussé ses parents à émigrer en France, puis à retourner en Algérie une fois plus âgés. Le film pose des questions fondamentales qui concernent toutes les familles issues de l’immigration : qu’est-ce que ça veut dire être Français ? Comment être à la fois d’ici et d’ailleurs ? La double culture peut aussi bien être une richesse qu’un déchirement identitaire.

Diffusion TV :

France 3, samedi 14 novembre 2015

Festivals :

Festival Cinéma Méditerranéen de Montpellier – 2015

Festival de Cinéma de Rennes Métropole – 2015

Projections :

Projection publique du film à Sète, avril 2016.

À travers la petite histoire de la visite d’une fille à son père en Algérie, d’une fille à sa mère en Haute-Savoie, d’une sœur à sa fratrie, le film propose une démarche intime qui met en lumière les déchirements causés par le choix d’immigrer.

L’histoire se construit autour de Mohamed, le père de la réalisatrice, ouvrier dans l’industrie du décolletage en Haute-Savoie pendant 40 ans, et qui a choisi de retourner vivre définitivement en Algérie à sa retraite en 2000 ; et de Zinouna, sa femme, qui depuis fait des allers-retours entre ici et là-bas.

À la génération suivante, celle de Nadja, la réalisatrice et narratrice du film, plusieurs de ses frères, qui sont nés et ont grandi en France, ont fait le choix de se marier avec des femmes du village natal en Algérie. Tandis que ses sœurs, moins tiraillées par leurs origines et le poids de la famille, ont fait des choix de vie différents.

« Je dis toujours que je suis haut-savoyarde, française et algérienne : je suis multiculturelle », Nadja Harek.

Nadja Harek est née en Haute-Savoie, à Cluses, en 1971. Après l’obtention d’une maîtrise de cinéma, elle réalise des documentaires sur la diversité dans le monde de la danse. En 2015, son film autobiographique « Ma famille entre deux terres » raconte les conséquences de l’immigration et de l’exil entre la France et l’Algérie.

Dès le générique du film, le cadre est séparé en deux : des images de la Haute-Savoie et de l’Algérie sont juxtaposées et le titre vient chevaucher ces deux lieux si éloignés, pour signifier le déchirement entre deux pays : celui où on vit et celui d'où on vient. Ce montage en « splitscreen » (procédé qui sépare le cadre en plusieurs images) exprime la dualité souvent vécue par les personnes issues de l’immigration : deux lieux opposés coexistent dans le cadre.

Nadja Harek, la réalisatrice, se raconte à la première personne. C'est sa voix qu'on entend et qui nous guide à travers le film. Elle exprime son ressenti vis-à-vis de sa double culture et s’interroge sur ce qui définit son identité, son appartenance à la France et à l’Algérie, à travers l’histoire de ses parents immigrés. « L'immigré est un exilé qui ne quitte jamais ses origines, mais à ses enfants, que leur transmet-il ? ». Pour elle, la question est moins de savoir quel pays on habite, mais plutôt se demander quel pays nous habite. Quel est le lieu qu’on peut définir comme sa terre, son « chez soi » ?

En axant sa quête identitaire sur sa famille, Nadja Harek livre un récit intimiste, mais avec l’intention d’englober plus largement toutes les personnes qui ont une double culture. « Ça pourrait être lui mon père » dit-elle d’un travailleur immigré anonyme qui traverse le cadre de la caméra. Son propos se veut universel, son histoire est aussi celle de tout un pan de l’immigration, d’hier comme d’aujourd’hui.

Nadja Harek a grandi dans une région industrielle dédiée au secteur de l’automobile. Comme dans beaucoup de secteurs industriels une communauté de travailleurs immigrés s’est créée entre deux terres, le pays d’accueil et le pays d’origine. Après le plein emploi des années 1970, la crise de 1990 provoque petit à petit la fermeture des usines. Un monde ouvrier sur le déclin disparaît peu à peu. Mohamed, le père de Nadja, était lui ouvrier dans une usine de décolletage, il y est resté 40 ans.

Aujourd’hui, l’usine n’existe plus, ses bâtiments ont été désaffectés ou transformés en salle des fêtes. Des images d’archive font revivre le passé et nous font découvrir l'usine de l’époque où nous voyons les travailleurs immigrés en pleine besogne, au milieu des machines et de l'huile. Dans le présent, Mohamed nous montre la machine sur laquelle il a travaillé pendant des décennies. Il affirme qu'il aimait son travail, mais la machine, filmée de très près, a quelque chose de monstrueux, elle évoque l'image d'une grande machine qui broie les travailleurs immigrés.

Nadja Harek raconte que les enfants de travailleurs immigrés allaient à l’école avec les enfants des patrons. Ce n’était pas la différence de culture qui prévalait – car le brassage culturel était fort et les nationalités nombreuses, c'était la différence de classe sociale. La famille Harek a vécu à quatre dans la chambrette d'une maison qui faisait office de foyer pour migrants, avant d’être relogée dans un HLM. Les enfants Harek ont grandi dans un fort métissage culturel dont ils gardent un souvenir joyeux : « quand j'étais petit la vie était belle » témoigne Kamel, le frère de Nadja.

A sa retraite, Mohamed décide de retourner en Algérie. Il a quitté son pays natal à 25 ans, et raconte avoir offert une lampe à pétrole à Zinouna, sa future femme, pour ne pas qu’elle l’oublie. La Haute-Savoie et l’Algérie ont en commun un paysage montagneux. Les cadres mettent en valeur ces paysages, à la fois comme élément de similitude et de différence : les montagnes forestières de Haute-Savoie sont brumeuses ou enneigées alors que celles d'Algérie sont solaires et arides.

De retour en Algérie, Mohamed conduit sa fille dans les ruines en pierre de la maison où il a grandi. La terre de la famille Harek. Le monde de Mohamed est un monde tombé en ruine : les usines où il a passé des années à travailler ont fermé, la maison de son enfance n'est plus qu'un vestige du passé. Les images des ruines de la maison expriment l’idée que l’immigration est toujours un abandon, une vie qu’on laisse derrière soi. Nadja converse avec son père et met en jeu leur intimité devant la caméra. C’est de cette intimité que naît l’échange et le récit de vie de Mohamed. La visite de la maison en ruine se termine sur un cadrage large où chacun va dans une direction opposée du cadre. Dans la scène suivante, les cadrages sont rapprochés (contrairement à la scène précédente qui plaçait Nadja et son père dans le même cadre). Nadja et Mohamed sont séparés par le montage, ils ne sont plus dans le même cadre. Cette séparation à l’image (on parle de « champ/contre-champ ») raconte l'incompréhension de Nadja quant au choix de son père d'avoir fait venir sa femme en France avec lui après leur mariage plutôt que d'avoir tenté de construire une vie en Algérie.

On découvre Zinouna, la mère de Nadja, dans un aéroport, entre deux vols, entre deux terres. Les images d'avions sont récurrentes dans le film. Elles expriment les allers-retours incessants des membres de la famille Harek entre les deux pays, comme si leur identité était restée bloquée quelque part entre la France et l’Algérie, dans l’avion. Zinouna rejoint Mohamed en France en 1971, enceinte de Nadja, « une grossesse entre deux terres ». Elle raconte son arrivée en France : « ça ne m'a pas plu, il faisait froid, je ne comprenais rien ». A la sortie de l'aéroport a lieu le rituel des bagages, qui peinent à rentrer dans le coffre de la voiture : Zinouna les remplit de produits français qu’elle ramène en Algérie. Plus que Mohamed, Zinouna est partagée entre les deux pays, elle trouve en France une indépendance qu’elle n’a pas en Algérie et s’encombre de valises pour ramener un peu de la France dans son pays d’origine. Pourtant elle affirme que sa place est au « bled », sur sa terre natale.

Nadja dialogue également avec ses frères et sœurs pour tenter de comprendre leur relation avec l’Algérie. Sa petite sœur Sharifa s’est adaptée et semble moins souffrir de problèmes identitaires que ses frères. Lorsque Kamel essaye de décrire son lien avec l’Algérie, il hésite et bafouille : « la musique...le désert...le truc de l’Algérie quoi » et on comprend que son rapport avec son pays d’origine est confus. Sharif, deuxième frère de Nadja, embrasse littéralement le sol français quand il apparaît à l’écran pour la première fois. Découvrir le personnage par ce geste fort montre tout son attachement pour la France et son enracinement sur son sol. Lui aussi trébuche dans son discours sur l’Algérie : « y’a des lacunes pour nous... » ; il n’arrive pas à en parler. Pour lui, la France est son pays : « le cycle de la vie, c’est ici ».

Sharif raconte que retourner en Algérie l'apaise, mais qu'il s'y sent étranger par le regard qu'on porte sur lui. Immigré ici , étranger là-bas. « Ça veut dire quoi être français pour nous enfants d'immigrés algériens nés en Haute-Savoie ? » se demande Nadja, avant de constater : « on nous renvoie toujours à nos origines ». Le tiraillement entre les deux pays est fort. Sharif travaille en France mais sa femme et son enfant sont restés en Algérie. Sa vie est coupée entre les deux sols.

Les parents de Nadja ont construit une maison dans leur village natal, « comme beaucoup d'immigrés maghrébins ». Le deuxième étage de cette maison, dont la construction a été interrompue, symbolise aux yeux de la réalisatrice le mirage de l'ascension sociale que Mohamed avait espéré. « La France c'était un peu le rêve américain » dit Sharifa en parlant des espoirs de ses parents lorsqu’ils ont quitté l'Algérie.

Nadja soulève la question de l’héritage historique à travers l’exemple du 8 mai 1945, jour de la victoire des alliés sur l’Allemagne nazie, mais également celui de répression sanglantes des manifestations nationalistes algériennes par l’armée française. Avoir deux pays, c’est avoir deux histoires, qui parfois s’opposent ou rentrent en conflit. L’identité d’un individu est aussi fait de la mémoire de son territoire, alors que se passe-t-il quand on a deux mémoires antagonistes pour se définir ? « C’est comme une blessure qui ne cicatrise pas » confie Nadja.

Le frère aîné de Nadja, Hassi, est mort à 25 ans dans un accident de voiture. Il est enterré en Algérie. C'était le premier fils né en Algérie, et sa mort est comme une coupure avec le pays d'origine. Au cimetière algérien, les cadrages sont larges à nouveau, en écho à la maison de pierre en ruine : un frère décédé, une maison morte. On entend les échos des voix qui se perdent dans l'horizon désert, qui accentuent l’impression de vide et de solitude dans laquelle sont plongés Nadja et son père, et soulignent leur difficulté à communiquer; à se parler. Des images d'une casse de voitures se substituent à celles du cimetière : un cimetière de voitures qui est une métaphore de la mort du frère, de son accident, et de son impact immense de son décès sur la famille.

Hassi disparu, les espoirs pour reprendre les terres d’Algérie sont placés en Sharif. Il a décidé de se marier au bled selon la tradition. Sharifa, à l'inverse, est en couple avec un Portugais. Lors de la scène du repas, on sent une tension à table, favorisée par les cadrages qui alternent les plans rapprochés pour montrer les visages fermés, tendus et les cadrages larges qui expriment le malaise. Deux ans plus tard, Kamel suit les traces de Sharif et épouse lui aussi une fille au bled selon la tradition. Il a ressenti une pression culturelle de la part de ses parents : « arrivé à un moment, quand t'es Algérien, t'es obligé de te marier ».

Au mariage, Kamel a l’air prostré, mal à l’aise. On le sent déstabilisé lors de la cérémonie, comme perdu au milieu d’un univers dont il ne maîtrise pas les codes et dans lequel il ne se reconnaît pas. Le tir de fusil traditionnel vient même le blesser à la tête (à cause du recul de l’arme), véritable moment de choc entre Kamel et la tradition qu’il essaye tant bien que mal d’adopter. On voit Zinouna qui gère toute la situation, qui a le contrôle et Kamel qui lui ne semble rien maîtriser de son destin. « J’ai divorcé parce que je me suis aperçu que c'était toute une mascarade ».

Les enfants Harek poursuivent maintenant leurs vies en France, même si Zinouna reste persuadée que c’est en Algérie qu’ils devraient habiter. Dans un mélange de regret et d’acceptation, Mohamed et Zinouna parlent de leurs enfants dispersés aux quatre coins du globe. L’immigration est un mouvement exponentiel, qui fonde depuis la nuit des temps le visage de l’humanité. La famille de Sharif a fini par le rejoindre en France, après des années passées loin de lui. Les enfants de Sharif ne parlent plus arabe. « Ils sont devenus Français alors ? » demande Nadja. Auront-ils eux aussi cet héritage de la double culture, ou est-ce que l’Algérie ne sera pour eux qu’une lointaine rumeur ? Est-ce qu’on perd un pays lorsqu’on perd une langue ? Zinouna parle en Arabe à Sharifa, mais la jeune femme, enceinte, lui répond en français. Dans cet échange bilinguiste, chacune démontre le pays qu’elle a adopté avec la langue qu’elle pratique. L'enfant de Sharifa sera lui algérien-portugais-français, pur produit du métissage culturel.

Mohamed, assis sur sa chaise-transat au milieu de nulle part, est entouré par l’horizon aride et désert de l’Algérie, accompagné de son petit-fils, qui héritera un jour de ces terres, qui portera en lui cet héritage. Mohamed fait partie de ces terres, le cadrage l’inclue dans le paysage comme s’il en était un simple ornement. Et Nadja Harek de conclure : « voici mon héritage ».

– Pourquoi peut-on dire que le film est à la fois intime et universel ?

– Quelles différences sont mises en avant entre la France et l’Algérie ? Quelles similitudes ?

– Pourquoi les frères de la réalisatrice ont-ils choisi de se marier en Algérie ?

– Pourquoi le père de la réalisatrice a-t-il décidé de retourner vivre en Algérie ? Pourquoi en était-il parti et dans quelles circonstances ?

– Avoir deux pays est-il une richesse ou une déchirure ?

– Selon vous, pourquoi voit-on régulièrement des images d’avion dans le film ?

Pour aller plus loin : consultez le dossier thématique.

– La musique du film a été composée par l’artiste Naab.

– Nadja Harek a également réalisé un court métrage de fiction : « Jamais ensemble », produit par La Luna Productions.