Danbé, la tête haute

Paris, novembre 1986. Aya Cissoko, 8 ans, voit sa vie basculer le jour où son père et sa petite sœur meurent sous ses yeux, dans l’incendie criminel de son immeuble. Elevée par sa mère dans le respect du Danbé (« Dignité » en bambara), mais pleine de colère, elle trouve refuge dans la boxe, son seul exutoire. De Ménilmontant à Science-Po, ce film retrace le parcours d’Aya.

Public ciblé: 
Âge suggéré à partir de 12 ans
Genre: 
Drame
Durée: 
87 minutes
Langue: 
Français
Bambara
Date de sortie: 
2014
Réalisateur / Réalisatrice: 
Bourlem Guerdjou
Comédiens: 
Tatiana Rojo
Annabelle Lengronne
Assa Sylla
Bruno Lochet
Eric Caravaca
Production: 
ARTE France
Europacorp Television
TV5 Monde

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1. Inspiré d’une histoire vraie,

2. Force de volonté exemplaire du personnage,

3. Relation complexe et émouvante entre Aya et sa mère.

Le « danbé » est une notion proche de la dignité qui invite à faire face à l’adversité et à garder la tête haute quels que soient les malheurs qui surviennent. Frappée par le deuil et le déterminisme social, Aya, investie de cette pensée héritée du Mali, se bat pour exister, déjouer les statistiques et reprendre son destin en main.

Distinctions :

Prix de la meilleure œuvre au festival Fiction TV de La Rochelle.

Prix du meilleur téléfilm au Colcoa French Film Festival de Los Angeles.

Prix d'interprétation féminine pour Tatiana Rojo au festival

 

Diffusion (2014) :

Arte

TV5 monde

La famille d’Aya, huit ans, coule des jours heureux dans leur petit appartement de Ménilmontant. Mais un incendie criminel met fin à ce bonheur : le père et la petite sœur d’Aya y laissent la vie. Missaré, la mère d’Aya, tente de garder la tête haute, de sauvegarder sa dignité face à ce malheur qui frappe sa famille. Elle appelle ça le « danbé », ce qui veut dire « dignité » en Bambara.

Missaré cumule les horaires de nuit pour faire vivre sa famille. Pour exorciser sa colère, Aya commence les cours de boxes, ce que sa mère ne voit pas d’un bon œil. La famille Cissoko tente d’obtenir des indemnisations pour l’incendie qui a ravagé les leurs, mais un vice de forme dû à l’erreur de leur avocat commis d’office met fin à la procédure

Quelques mois plus tard, le plus jeune frère d’Aya meurt à son tour d’une méningite. La fillette est rongée par la culpabilité, et une relation complexe débute avec sa mère, qui est à la fois prête à tout pour le bien de ses enfants, mais qui considère que c’est « le diable » qui pousse sa fille à agir comme un garçon.

Dix ans plus tard, Aya a maintenant 16 ans et s’est lancée à corps perdu dans son entraînement de boxe. Sa colère n’a pas faibli. Missaré tente de relancer la procédure judiciaire avec un nouvel avocat : elle réclame la justice pour la mémoire de son mari et de ses enfants disparus. La relation entre la mère et la fille s’envenime alors que les résultats scolaires d’Aya sont en chute libre – l’adolescente se désintéresse progressivement de l’école.

Au terme d’une compétition sans surprises, Aya devient championne du monde amateur de boxe française. Mais le faible niveau de la compétition l’enrage plus qu’autre chose : pour elle, ce n’est pas une victoire. Elle rejoint alors un club de boxe anglaise uniquement masculin, où l’entraîneur finit par accepter de se charger de sa formation après qu’elle lui ait prouvé son courage. Parallèlement à sa vie sportive, Aya se fait renvoyer de son lycée, au grand désarroi de sa mère qui désire plus que tout que sa fille fasse des études.

Du côté judiciaire, la famille nourrie l’espoir que la justice reconnaisse les torts qu’ils ont subi, mais la procédure est interrompue à nouveau, rejetée en cassation. Missaré décide alors de poursuivre leur ancien avocat dont l’erreur leur avait coûté leur indemnisation.

Aya a maintenant 26 ans. Elle est devenue comptable et poursuit la boxe. A force d’entraînement, elle se qualifie pour la compétition amateur mondiale de boxe anglaise. Accompagnée de son entraîneur, elle y dispute le combat le plus dur de sa vie. Elle empoche la victoire, mais au prix d’une importante blessure aux cervicales. Elle doit être opérée. A son réveil, Aya est paralysée. Des semaines de rééducation l’attendent. Elle s’y plonge avec détermination, espérant passer pro dans le monde de la boxe à sa sortie de l’hôpital.

Mais elle découvre que les médecins lui ont menti : l’opération ne s’est en réalité pas déroulée parfaitement. La condition physique d’Aya est trop fragile, il lui est interdit de passer pro et de réaliser son rêve. Déjouant son destin, elle se redirige vers les études et parvient à réussir le concours pour intégrer Science-Po. Aya souhaite devenir journaliste sportive.

Le procès contre l’avocat commis d’office a été remporté. La justice reconnaît cette fois que la famille Cissoko mérite une indemnisation. C’est enfin la victoire pour Missaré. L’honneur de sa famille est lavé.

Aya part retrouver sa mère qui est retournée vivre au Mali. Mère et fille sont réconciliées. Aya porte en elle le « danbé », cette force face à l’adversité qui lui a transmis sa mère lorsqu’elle était enfant.

Né en 1965 à Asnières, en France, Bourlem Guerdjou a été comédien dans plusieurs films, téléfilms et pièces de théâtre. Il réalise également des court-métrages de fiction et documentaires.

Son premier long-métrage, « Vivre au paradis », sort en 1998 et remporte un immense succès critique puisqu’il reçoit plus d’une dizaine de distinctions dont le Prix de la première œuvre à Venise et le Tanit d’or aux Journées Cinématographiques de Carthage 1998 en Tunisie. En 2004, il réalise le long-métrage « Zaïna, cavalière de l’Atlas ».

Une ombre s’agite sur un mur. Un mouvement de caméra, dit « panoramique », nous dévoile en cadrage rapproché le visage d'Aya, le regard déterminé, qui joute dans le vide avec ses poings. Son souffle est puissant et régulier – il est mis en avant dans la bande-sonore pour favoriser la sensation d’être physiquement avec elle. Partir de son ombre pour arriver à son visage, c'est tout le récit d'un personnage qui va sortir de son déterminisme social, sortir de l'ombre pour aller vers la lumière, par la seule force de sa volonté, qu'on peut déjà lire dans son regard lors de cette première séquence. Dans cette scène, tout passe dans ses yeux. Le réalisateur Bourlem Guerdjou restera accroché aux regards des trois actrices qui interpréteront Aya tout au long du film, pour y chercher le « danbé », cette faculté de se tenir droit et fier devant l’adversité. Cette scène se termine par un « plan large » qui révèle le lieu où se trouve Aya : une rue de Delhi à l'aspect délabré. C'est au milieu du contexte social le plus défavorisé qu'Aya trouve la force de se battre.

Un chant malien commence en « off », c’est-à-dire que nous ne percevons pas encore sa source. Il nous ramène vingt ans en arrière. Le film est parcouru par des sauts temporels soudains, des ellipses qui se comptent en décades, afin de balayer les moments les plus importants de la vie d'Aya et de montrer son évolution en juxtaposant brutalement trois âges de sa vie, pour mieux faire ressortir ce qui reste pareil (sa détermination, le fait qu'elle ne colle pas à ce qu'on attend d'elle et qu'elle déjoue les normes), et ce qui change (elle finit par exister pleinement à l'âge de 27 ans, faisant la fête avec ses amis, et parviendra à se départir de sa colère).

Dans un petit appartement qui traduit la précarité de la famille Cissoko, Missaré, la mère, chante une chanson sur le « Drukutu », un oiseau qui annonce le malheur, comme une prédiction du drame qui va s’abattre sur la famille. « Alors on fait quoi ? On se prépare, il faut se battre ! » Dit Missaré à sa fille en parlant de l’oiseau de malheur. C’est ce qu’Aya fera pendant les vingt prochaines années.

« Tu m'apprendras à faire la guerre ? » demande la petite Aya à son père. Il mourra avant. C'est Jeannot, son futur entraîneur, qui lui apprendra à se battre, se substituant à la figure du père – il appelle Aya « ma fille ».

La scène de l'incendie est brève, filmée en caméra portée, comme un cauchemar chaotique. Une coupe franche et soudaine dans le montage nous amène à l’hôpital pour assister au réveil d’Aya, comme si tout cela avait été un mauvais rêve – elle continuera à faire des cauchemars sur la mort de son père.

Après avoir appris la mort de son père et de sa sœur, Aya ne prend pas part aux jeux d'enfants dans la cour de l’école. Un cadrage large avec un mouvement de caméra met en avant la joie des élèves qui jouent au premier plan de l’image, alors qu’Aya reste dans le fond du cadre, assise toute seule sur une marche. Elle n'a plus l'insouciance des autres enfants après le drame qu'elle a subi – son enfance est déjà terminée en quelque sorte. Elle jette un regard à son frère Issa, également assis sur une marche, en retrait - lui se réfugie dans ses livres. Bien qu'ils adoptent une attitude similaire, Aya et Issa sont chacun sur leur propre marche, comme déconnectés l'un de l'autre. Dès cette scène, on comprend que leurs chemins de vie seront différents. Et qu’Aya ne saura plus s'amuser pendant longtemps.

La fillette commence à s'érafler le genou avec une pierre, comme pour sentir la douleur et se prouver qu'elle existe, qu'elle est vivante. Comme une façon de se punir aussi d’être vivante à la place de sa sœur. La fillette est remplie d’une grande colère qu’elle cherche à exorciser. Colère de l’injustice du drame – un incendie criminel raciste, mais aussi colère face au déterminisme social. Missaré et ses enfants vivent dans une cité HLM défavorisée, et la mère d’Aya, comme celle de Marieme dans « Bande de filles » (de Céline Sciamma) et comme celle de Souad et Nesrine dans « Fatima » (de Philippe Faucon), doit faire des ménages avec des horaires difficiles pour subvenir aux besoins de sa famille. Missaré ne sait pas lire et écrire car elle n’a jamais pu aller à l’école. C’est pour cela qu’il est primordial pour elle que sa fille travaille à l’école et fasse des études : pour avoir un autre destin.

Cette colère emmagasinée par la fillette trouve un exutoire dans la pratique de la boxe. « Dis-donc t’es en colère toi » dis Thomas, l’éducateur sportif, la première fois qu’Aya enfile les gants rouges. Elle le frappe avec toute sa fureur, déversant ainsi ce qui la fait bouillonner de l’intérieur, vers l’extérieur. Mais pour Missaré, la boxe n’est pas un sport pour une petite fille. C’est un personnage paradoxal : bien qu’elle tienne tête aux « anciens » et se rebelle contre eux en refusant de retourner au Mali, agissant ainsi contre les règles établies, elle refuse qu’Aya se comporte « comme un garçon » et voudrait qu’elle respecte toutes les conventions qu'on attribue à une petite fille.

Cela alimente la complexité de la relation entre Aya et Missaré. Lorsque, folle de désespoir, cette dernière s’en prend à Aya en rejetant la responsabilité du drame familial sur elle (« c'est toi qui prends la vie de tes frères, c'est le diable ! »), elle scelle la culpabilité qui pèsera sur Aya pendant de longues années. Dans la scène suivante, « surcadrée » par le mur et la porte (c’est-à-dire que ces deux éléments font comme un deuxième cadrage à l’intérieur de l’espace filmé), Missaré ouvre la fenêtre – elle a la tentation de sauter. Ce surcadrage exprime son enfermement, sa détresse et son sentiment d’être acculée par le malheur. Aya vient voir sa mère pour la prendre dans ses bras, l’empêchant de commettre le pire. Mère et fille forment alors un rempart contre l’adversité. La juxtaposition de cette scène avec celle où Missaré hurle qu’Aya « dévore la vie de ses enfants » souligne le paradoxe et les contradictions de leur relation.

Le surcadrage qui exprimait un enfermement, un destin tragique qui emprisonne les personnages, trouve un écho visuel lors de la scène où Missaré invoque les esprits pour accompagner les âmes de son mari et de ses deux enfants disparus. Une « plongée » ouvre cette séquence, c’est-à-dire un cadrage qui « regarde vers le bas », une position « supérieure » de la caméra qui écrase les personnages et fait ressentir le poids de la tragédie familiale, en même temps qu’elle fait ressentir une verticalité qui évoque le monde des esprits.

Puis, brutalement, nous sommes propulsés dix ans plus tard, plongés dans une course-poursuite filmée en « travelling » arrière – un mouvement de caméra qui recule pour accompagner la fuite en avant des personnages. Nous découvrons Aya adolescente qui, toujours enfermée dans son déterminisme social, vit un quotidien de petits larcins. La juxtaposition soudaine de cette nouvelle version du personnage avec la scène précédente où elle est encore une petite fille fait ressortir le fait que sa colère est restée intacte. Aya a définitivement perdu sa naïveté, son regard a gagné en dureté. Mais aussi en détermination.

Renversant toujours les codes des genres masculin/féminin, Aya n’hésite pas à faire les entremetteuses et à aborder frontalement les garçons dans la cour de son lycée. A l’entraînement de boxe, elle est la seule fille et se bat au milieu des garçons comme l’une des leurs. Le montage est dynamique, avec beaucoup de plans différents et l’utilisation de la caméra portée vient traduire l’énergie que déploient les personnages.

En règle générale, le film privilégie les « focales longues », c’est-à-dire que les visages sont très présents à l’image alors que le décor autour est flou. Le réalisateur se concentre sur les visages et les regards, et fait du monde qui entoure ses personnages principaux un univers flou, vague, qui montre leur difficulté à trouver leur place dans le tissu social. Une caméra portée instinctive s’accroche à l’énergie d’Aya et fait ressortir les tensions avec sa mère et l’intensité de son combat pour exister (notamment à travers la boxe). La mise en scène choisit ainsi la sobriété pour laisser la place aux acteurs d’exister dans l’image. Elle ne prend jamais le pas sur l'histoire, dans un souci de pudeur et de respect pour le récit réel dont s’inspire le film.

Le montage dynamique en caméra portée permet de ressentir l’impact des coups durant les matchs de boxe. Lors de la compétition de boxe française, Aya déverse toute sa fureur sur ses adversaires, de la même manière qu’elle tapait sur Thomas la première fois qu’elle enfilait les gants. Mais le combat est trop facile, elle en ressort frustrée. « J’ai pas gagné. Pour gagner, il faut se battre », en écho à ce que lui disait Missaré en lui expliquant le « danbé » : « tu continues et tu te bats ».

Jeannot, l’entraîneur de boxe anglaise, considère que le sport qu’il enseigne n’est pas pour les filles, mais change d’avis face à la ténacité de la jeune femme qui fait ses preuves sur le ring. Elle exerce alors véritablement le danbé dans sa capacité à se relever, à se tenir droite face à son adversaire, et face à l’adversité en générale.

Missaré elle aussi refuse de s’avouer vaincue face aux institutions judiciaires qui ne veulent pas reconnaître le préjudice subi par la famille lors de l’incendie. C’est sa façon à elle d’exercer le danbé. Lors du premier rejet judiciaire, à la sortie de l'audience, la caméra suit les personnages en mouvement arrière avec une caméra portée qui rend l’image instable et exprime la colère de la famille. La caméra suit l'avocat qui s’éloigne des Cissoko et quitte le cadre ; elle se désolidarise de la famille, les laissant dans la profondeur, pour faire ressentir leur solitude face à un système judiciaire qui les a abandonnés.

Missaré décide de relancer la procédure avec un nouvel avocat : « je veux la justice pour Sagui et Massou ». Une nouvelle audience, un nouvel échec : la demande de révision du dossier est irrecevable. La scène est filmée de la même façon que lors de la première audience : un mouvement de caméra arrière en plan large qui accompagne les personnages dans le couloir. Même situation, même façon de filmer. A ceci près que le mouvement de caméra a gagné en fluidité, en stabilité : l’avocat ne les laisse pas tomber et veut poursuivre le combat. Le plan large qui dévoile l’espace du couloir est cette fois coupé par un cadrage rapproché sur Aya qui se met en colère : elle veut mettre un terme à ce cycle de déceptions, usée par les injustices.

De la même façon que l'avocat commis d'office avait fait une erreur dans le dossier en oubliant de demander à Missaré les cartes de résidence, le médecin qui examine Moussa se trompe et déclare une rhino-pharyngite alors qu'il s'agit en réalité d'une méningite. L’erreur de l’avocat coûtait à la famille Cissoko son indemnisation, celle du médecin coûte la vie à Moussa. La scène où Missaré accompagne son fils allongé sur un brancard dans les couloirs de l'hôpital trouvera un écho presque identique lorsqu'Aya, après avoir gagné la compétition mondiale de boxe anglaise, est transportée sur le brancard pour entrer en salle d'opération. Missaré revit alors la même situation – la façon de filmer ces deux scènes est très similaire. Là encore les institutions trahissent la famille Cissoko : on assure à Aya que l’opération s’est bien passée alors que c’est un mensonge.

Aya se rebelle contre l’école où elle ressent encore l’injustice d’un système à deux vitesses : « c'est raciste de pas traiter tout le monde pareil » dit-elle de sa professeure qui appelle les blancs par leurs prénoms et les autres par leurs noms de famille. « Ici on n'est pas contre toi Aya » lui dit la proviseure sans parvenir à convaincre l’adolescente.

Aya, pourtant bonne élève, entretient une relation agitée avec l’institution scolaire, nourrie par sa culpabilité et son incapacité à dépasser le deuil des membres de sa famille. Sa tante lui dit : « il faut t'amuser, tu es jeune, il faut profiter de la vie » mais Aya répond : « j'y arrive pas, je fais semblant, mais après je suis encore plus triste ». Elle ne parvient pas à « arrêter de pleurer les morts pour les laisser partir en paix ». Dans la scène suivante, Aya est en salle de classe mais se désintéresse du cours. La caméra se rapproche de son visage, reléguant tout le décor dans un flou prononcé qui la déconnecte de son environnement. Dans la cour, Aya est seule à nouveau, comme lorsqu'elle avait huit ans. Elle observe les jeunes qui vivent leur vie alors qu'elle reste bloquée dans son deuil, incapable de leur insouciance : elle n'est pas réunie dans le cadre avec les autres.

C’est toujours dans le sport qu’elle trouve une forme de liberté, en dépassant ses limites et en chamboulant les codes sociaux à travers sa pratique de la boxe. Aya court pour s’entraîner, mais aussi pour laisser son passé derrière elle. Comme lors de la première scène, le son de sa respiration est très présent pour accroître la sensation d’effort et celle de notre proximité avec le personnage. Dans l'enchaînement de ses pas, une nouvelle ellipse temporelle survient, un nouveau saut qui nous amène dix ans plus tard. Le travail sur l’ellipse, sur le passage du temps, se fait beaucoup à travers la course : lors du premier saut temporel, on retrouvait déjà Aya en train de courir pour échapper à un vigile. Aya court après son destin, elle est tout le temps en mouvement. La course c'est aussi le flot du temps dans lequel le film nous entraîne, à l'image de ces pieds qui courent, suivis en mouvement de caméra latéral, où tout se confond à cause de la vitesse de défilement qui vient traduire le temps qui passe et se précipite.

Nous découvrons alors la nouvelle Aya, et elle court toujours. Les cadrages sont les mêmes que lorsqu’elle courrait à l’âge de seize ans, pour induire l’idée qu’elle a poursuivi son entraînement pendant ces dix années que le montage a passé sous silence. Bien que les actrices changent, on associe instinctivement les deux comédiennes au même personnage car le lieu et les cadrages au moment du saut temporel sont les mêmes.

La première différence qui s’impose est que la nouvelle Aya a les cheveux courts et assume totalement son côté « garçon ». Si Issa a suivi les conventions en fondant une famille, Aya reste « hors-normes » et continue de se « battre pour sentir qu’elle est encore vivante ». Mais elle a gagné en stabilité : elle a été recrutée par la fédération française de boxe et elle a un travail de comptable. La couleur de la nouvelle Aya est le rouge : c’est la couleur de sa tenue lors des matchs officiels, qui exprime cette violence qu’elle porte toujours à l’intérieur d’elle, malgré tout.

En dépit de sa blessure, elle poursuit son combat lors de la finale à Delhi – le film rejoint alors le moment sur lequel il s’ouvrait. Ce combat est décisif car il marquera la fin de la carrière de boxeuse d’Aya : son moment de triomphe – elle gagne le combat et est sacrée championne – en même temps que sa chute. Une coupe brutale au montage nous amène dans les couloirs de l’hôpital : Aya porte une minerve et est déplacée sur un brancard. L’enchaînement de cette victoire triomphale et de cette image sur le brancard vient interroger le spectateur : est-ce que ça en valait la peine ? La juxtaposition immédiate de sa victoire et de sa chute crée un contrepoint plus violent encore que les coups qu'elle porte : c'est une violence qu'elle exerce envers elle-même - elle a expié sur le ring.

Aya est alors paralysée, et sa volonté est à une nouvelle fois mise à l'épreuve. Elle doit se concentrer pour faire bouger les doigts de sa main. C’est un nouveau combat. Cette position de faiblesse entre en opposition avec l’image indestructible que nous renvoyait jusqu’alors le personnage, et favorise un rapprochement avec Missaré qui vient s’occuper de sa fille à l’hôpital. La scène où elle doit la laver car Aya ne peut pas bouger est très forte symboliquement : elle la lave de ses péchés, la débarrasse de la culpabilité qu’elle a fait peser sur ses épaules. Remise sur pieds, Aya dit à sa mère : « merci maman, merci de t'inquiéter pour moi ». C'est la réconciliation finale entre les deux personnages. Aya a maintenant la maturité pour comprendre qu'à chaque fois que sa mère était en désaccord, c'était pour son bien, parce qu'elle s'inquiétait pour elle.

En même temps qu’une résolution du conflit entre ces deux personnages vient celle du combat judiciaire : le procès contre l’ancien avocat est gagné, la famille Cissoko a enfin le droit à la reconnaissance des préjudices qu’ils ont subi. Missaré a sa victoire.

Pour la première fois, nous voyons Aya faire la fête avec ses amis, sans faire semblant. Elle est maintenant capable de profiter de la vie. Les coups reçus sur le ring, la réconciliation avec sa mère et la reconnaissance judiciaire l’ont libérée du poids de sa culpabilité. Quand elle va s'excuser auprès de Yohann, elle accepte, également pour la première fois, la possibilité d’être amoureuse, d’être vulnérable. Avec la boxe il n'y avait pas assez de place dans sa vie pour l’amour, car elle devait toujours être forte, ne jamais baisser sa garde. « La vie je connais pas » disait-elle à Jeannot. La boxe lui a permis de survivre, mais abandonner la boxe lui permet de reprendre possession de sa vie et d'arrêter d'avoir besoin de se prouver qu'elle est vivante.

Science-Po est son dernier combat à mener. « Il ne vous reste plus qu’à passer le concours » lui dit la femme qui la reçoit en entretien. « Et à l’avoir », répond Aya. Le film met en avant la formidable capacité d’adaptation du personnage, qui est sa plus grande force. La boxe, l’école, l’hôpital, Science-Po ; chaque moment de sa vie aura été une mise à l’épreuve, un nouveau défi à relever.

Le film se termine au Mali, sous une photographie solaire. Aya y retrouve le village de ses origines et rencontre sa grand-mère. Elle est enfin complète – c’est en sachant d’où on vient qu’on comprend qui on est. Un dernier regard complice s’échange entre Aya et Missaré qui lui a enseigné le danbé. Cette philosophie qui a permis à Aya de tenir et de partir à la conquête de sa vie.

- Trois « versions » du personnage d’Aya sont présentes dans le film, à trois âges différents. Quelles sont selon vous les similitudes qu’on retrouve d’un personnage à l’autre ? Quelles sont les différences qui montrent une évolution ?

- Quels sont les éléments dans le film qui montrent qu’Aya ressent une grande culpabilité envers la mort de son père et de ses frères et sœurs ? D’où vient cette culpabilité selon vous ?

- Qu’est-ce que le danbé ? Quels sont les moments du film qui selon vous l’incarnent le mieux ?

- Peut-on dire que c’est la colère d’Aya qui la pousse à se passionner pour la boxe ?

- Que représente le personnage de Jeannot, l’entraîneur, pour Aya ?

- Pourquoi peut-on dire que la plus grande force du personnage est sa capacité d’adaptation ?

- En quoi le combat judiciaire qu’elle mène est-il important pour Missaré ?

 

Pour aller plus loin : portrait d’Aya Cissoko par la série « Champions de France ».

- Les évènements relatés dans le film sont une adaptation du livre « Danbé » écrit par Aya Cissoko et Marie Despleschin. Ce roman autobiographique raconte l’extraordinaire parcours d’Aya, immigrée malienne devenue championne de boxe et étudiante à Science-Po.

- Assa Sylla, qui joue Aya à l’âge de 16 ans, a été découverte dans le film « Bande de Fillles » de Céline Sciamma. Comme l’actrice Annabelle Lengronne (Aya à l’âge de 27 ans), elle a dû suivre des cours intensifs de boxe, tout en préparant son Bac pro vente.

- Tatiana Rojo a dû apprendre le Bambara pour pouvoir interpréter le rôle de Massiré, la mère d’Aya.