Marieme vit ses 16 ans comme une succession d’interdits. La censure du quartier, la loi des garçons, l’impasse de l’école. Sa rencontre avec trois filles affranchies change tout. Elles dansent, elles se battent, elles parlent fort, elles rient de tout. Marieme devient Vic et entre dans la bande, pour vivre sa jeunesse.
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1. Grand récit romanesque d’apprentissage,
2. Jeunes femmes de banlieues à l’honneur,
3. Mise en scène immersive à l’esthétique soignée.
La réalisatrice Céline Sciamma redonne une visibilité aux femmes noires de banlieue qui sont souvent sous-représentées dans les fictions au cinéma. Elle offre à ses quatre personnages féminins une histoire ample et ambitieuse, où la banlieue devient un territoire esthétique parcouru par la violence aussi bien que par la force de l’amitié.
Dans un monde où les hommes cherchent encore à dominer les femmes, Céline Sciamma interroge la crise identitaire de la féminité, et porte son regard sur une jeunesse combative, en quête de nouveaux modèles, qui réinventent les stéréotypes de genre et mettent à mal les clichés.
Récompenses :
Festival international du film de Saint-Sébastien 2014 : Prix TVE « Otra Mirada »
Festival international du film de Stockholm 2014 : Cheval de bronze du meilleur film (Grand prix) et meilleure photographie pour Crystel Fournier
Festival du film de Philadelphie 2014 : prix spécial du jury
Prix 2014 du Women Film Critics Circle : meilleur film non sorti au cinéma réalisé par où à propos des femmes
Grand Prix Cinéma Elle 2014 : révélation féminine pour Karidja Touré
Prix Lumière 2015 : Prix spécial de l’Académie des Prix Lumière
Prix 2015 du Women Film Critics Circle : « Just Kidding Award » pour les interprètes et l’équipe du film, catégorie « Thrown Under the Bus »
Prix 2015 de l’International Cinephile Society Awards : meilleur film non sorti en 2014
Black Reel Awards 2016 : meilleur film étranger
Chlotrudis Awards 2016 : meilleure actrice pour Karidja Touré et meilleur montage pour Julien Lacheray
Nominations :
Prix LUX 2014 : finaliste
Grand Prix Cinéma Elle 2014 : prix du jury des lectrices
Prix Lumière 2015 : meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur espoir féminin (Karidja Touré)
César 2015 : meilleur réalisateur, meilleur espoir féminin (Karidja Touré), meilleur son et meilleure musique
British Independent Film Awards 2015 : meilleur film indépendant étranger Independent
Spirit Awards 2016 : meilleur film étranger
Chlotrudis Awards 2016 : meilleur film et meilleure utilisation d’une musique dans un film (Jean-Baptiste de Laubier)
Prix 2016 de l’Alliance off Women Film Journalists : « EDA Female Focus Award » de la meilleure réalisatrice
Prix 2016 de l’Australian Film Critics Association : meilleur film international en langue étrangère
Black Reel Awards 2016 : meilleure actrice (Karidja Touré) et meilleure révélation féminine (Assa Sylla)
Sélections :
Festival de Cannes 2014 : sélection « Quinzaine des réalisateurs », dont il est le film d’ouverture et sélection pour la Queer Palm
Mostra de Venise 2014 : sélection Prix LUX des « Giornate degli Autori »
Festival international du film de Toronto 2014 : sélection « Contemporary World Cinema »
Festival du film français d’Helvétie 2014 : sélection officielle
Festival international du film de Saint-Sébastien 2014 : sélection « Pearls »
Festival international du film de Rio de Janeiro 2014 : sélection « Panorama du cinéma mondial »
Festival du film de Hambourg 2014 : sélection pour le prix de la critique
Festival international du film francophone de Namur 2014 : sélection en compétition officielle
Festival du nouveau cinéma de Montréal 2014 : présentation spéciale
Festival du film de Londres 2014 : sélection officielle en compétition
Festival international du film de Varsovie 2014 : sélection « Discoveries »
Festival international du film de Mumbai 2014 : sélection « Rendez-vous with the French Cinema »
Festival international du film de Vienne 2014 : sélection officielle AFI Fest 2014 : sélection « World Cinema »
Golden Horse Film Festival 2014 : sélection officielle
Festival du film français de Dublin 2014 : sélection officielle, film d’ouverture
Festival international du film de Rotterdam 2015 : sélection « Limelight »
Festival du film de Sundance 2015 : sélection « Spotlight »
Festival du film français en Israël 2015 : sélection officielle
Festival du film francophone de Grèce 2015 : sélection officielle en compétition
Festival du film français de Sacramento 2015
Festival du film de Zurich 2015 : sélection « Window : Nouvelle Vague au féminin »
Diffusion télé :
Canal +
Ciné +
Arte
Ce résumé est extrait d’un dossier pédagogique réalisé par Laura Tuillier et Thierry Méranger. Le dossier est téléchargeable sur le site du CNC. Un lien est proposé en cliquant sur l’onglet « Analyse ».
Marieme est en troisième, elle vit dans une cité de la banlieue parisienne entre deux petites sœurs dont elle s’occupe, une mère absente et un grand frère violent, Djibril. Lorsqu’elle rencontre Lady, Adiatou et Fily, Marieme commence à vivre une vie plus libre, découvrant l’amitié mais aussi les rapports de force qui règnent entre les différentes bandes de filles de la cité.
Elle change de look, trouve le courage d’affirmer son attirance pour Ismaël, un ami de Djibril, et adopte même un nouveau prénom : Vic. Mais les choses ne sont pas simples au quotidien. Marieme est confrontée à un avenir bouché et à la violence de son frère.
Elle décide, sous l’influence d’Abou, un dealer du quartier, de quitter le domicile familial et d’abandonner sa bande d’amies. Elle s’installe dans une autre banlieue et devient dealer. Elle continue de voir Ismaël, mais celui-ci lui reproche son apparence de garçon manqué et ses choix de vie.
Finalement, Abou s’avère être un proxénète, Marieme fuit et retrouve sa cité. Les chemins sont ouverts devant elle mais il lui reste des choix à faire pour finir de devenir adulte.
« Le désir premier, ce sont les personnages et ces visages, qui sont des images manquantes », Céline Sciamma.
Céline Sciamma est née en banlieue parisienne et a vécu à Cergy jusqu’à la fin de son adolescence. Après des études de lettres, elle étudie le cinéma à La fémis en section scénario, et réalise son premier long métrage, Naissance des pieuvres peu après la fin de ses études. Le film a été sélectionné au festival de Cannes 2007 dans la section « Un certain Regard », très remarqué il reçoit le prix Louis Delluc du premier film et 3 nominations aux Césars.
Puis elle réalise Tomboy, présenté en ouverture du Panorama à la Berlinale 2011, et y reçoit un Teddy Bear. Le film sera exploité dans plus de trente territoires du monde entier. Puis vient Bande de filles en 2014, qui fera l’ouverture de la Quinzaine des réalisateurs, Cannes 2014, le film sera sélectionné dans de nombreux festival dont les plus majeurs (Venise, Toronto, San Sebastian, Sundance…) et sera à maintes reprises récompensé.
Entre ses propres réalisations, Céline Sciamma poursuit son activité de scénariste et signe notamment les texte du film Quand on a 17 ans réalisé par André Téchiné et du film d’animation Ma vie de Courgette de Claude Barras, pour lequel elle reçoit le César de la meilleure adaptation. Céline Sciamma co-préside depuis 2015 la Société des réalisateurs de films.
Un dossier pédagogique très complet réalisé par Laura Tuillier et Thierry Méranger est disponible sur le site du CNC. Les enjeux du film y sont décryptés avec précision. Le dossier est accompagné d’images et de textes ressources.
Télécharger le dossier pédagogique :
http://www.cnc.fr/web/fr/lyceens-et-apprentis-au-cinema1/-/ressources/10034324
L’analyse proposée ci-dessous se veut complémentaire de ce dossier pédagogique.
A) La bande comme rempart contre la domination masculine
1. Le groupe et l'individu
La première image du film nous présente un arrière-plan flou. Les joueuses de football américain courent vers le premier plan de l’image, au plus proche de la caméra. Ainsi, elles deviennent « nettes » progressivement, leurs silhouettes se distinguent de mieux en mieux au fur et à mesure qu’elles se rapprochent de la caméra. Dés cette première scène, la réalisatrice Céline Sciamma semble annoncer son ambition : sortir ces jeunes filles du « flou », offrir un espace de visibilité à leurs visages que Céline Sciamma a qualifié de « manquants » dans la production cinématographique française.
S’ensuit une partie de football américain, filmée au ralenti pour souligner la puissance et le ballet des corps. La musique pop-électro qui nourrit la scène apporte une dimension chorégraphique à ce match qui met en valeur l’effort et la force des joueuses. A la fin de la partie, les équipes adverses se félicitent, joyeuses, comme s'il ne s'agissait que d'une seule et même équipe : des filles qui transgressent les idées reçues en faisant un sport d'hommes. La caméra favorise les plans larges pour mettre les filles ensemble dans le même cadre : aucun personnage ne se détache encore, la réalisatrice filme un groupe, un mouvement commun et une énergie partagée.
Puis les lumières du stade s’éteignent une à une dans un « plan général », c’est-à-dire un cadrage qui montre tout l’espace où se situe l’action. Les filles apparaissent alors comme toutes petites malgré leurs effusions. Cette petitesse, combinée à « l’extinction des feux », annonce que cette joie et cette expression de leur force sera de courte durée. La fin de la scène semble dire : « la fête est finie ».
Nous retrouvons les joueuses dès la scène suivante. Elles rentrent de leur match, joyeuses, rieuses et bruyantes. Mais au moment où elles traversent un pont, leur attitude change soudainement. Le pont au cinéma est souvent une métaphore d’un lien entre deux mondes. Depuis le film muet « Nosferatu le vampire » réalisé par Friedrich Murnau en 1922, traverser un pont signifie entrer dans une autre réalité : « Et quand il eut dépassé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre » (carton dans le film « Nosferatu le vampire »).
Dans le film de Céline Sciamma, le silence s’abat d’un coup sur le groupe de filles au moment où elles traversent le pont, car elles aussi entrent dans un nouvel espace, une nouvelle réalité. Celle de la cité gardée par des présences masculines. La proximité des garçons les rend muettes, elles viennent de pénétrer un territoire où elles ne peuvent plus s’exprimer.
Des plans longs en travelling (la caméra bouge avec les personnages dans un mouvement fluide) nous permettent d'appréhender cette scène dans sa longueur, de nous mettre dans les pas des personnages, et nous faire mieux sentir, dans la longueur du plan, le basculement soudain entre le tumulte et le silence. Les garçons sont filmés en périphérie du cadre, présence trouble et menaçante, ou alors comme des ombres hostiles dont on sent le regard peser à travers l’obscurité.
Petit à petit le groupe se désagrège, chacune rentre chez soi et on sent ces filles, guerrières dans la séquence du football, maintenant fragiles, craintives. Aucun personnage central n’a encore été mis en avant. Mais lorsque le groupe se délite pour de bon, apparaît enfin Marieme, notre personnage principal, resté jusqu’ici en arrière, dans l'ombre. C’est elle que la caméra, finalement, décide de suivre. Son existence à l'image est produite par la désintégration du groupe.
Cette manière de faire apparaître et exister le personnage principal annonce la suite du film : Marieme intégrera une bande de filles pour vivre sa vie et prendre en main son existence, mais elle s’en séparera pour poursuivre son destin en solitaire. Le film ne sera jamais autant un portrait de groupe, que le portrait de Marieme et de comment elle va se construire d’un groupe à l’autre.
2. Un frère tout puissant
Le frère de Marieme règne en despote sur ses trois sœurs. La figure du père est absente du film, et la mère n’apparaît que très peu. A la maison, c’est le grand frère qui fait la loi. Il n’est pas montré tout de suite. Il est évoqué par Marieme qui conseille à sa sœur « Bébé » de porter des tee-shirts larges pour ne pas que leur frère se rende compte que ses seins ont poussé. Déjà, il faut cacher les attributs de la féminité pour échapper à la répression masculine.
C’est lorsque Marieme joue en secret au jeu-vidéo de son frère que ce dernier apparaît. Leur premier face-à-face montre la domination qu’il exerce sur la jeune fille : il la frappe en lui intimant l’ordre d’aller dormir.
Lorsque Marieme sort avec ses amies, elle décide, sous l’impulsion de Lady, de ne pas répondre aux appels téléphoniques de son frère. De retour à la maison, il a pour elle un geste qui s’apparente au départ à un geste d’affection mais qui se transforme en strangulation : il la tient sous son emprise. Paradoxalement, il se montre affectueux avec la plus jeune sœur ; toujours une enfant, elle n’est pas encore une femme.
3. Une main tendue
Face à cette domination masculine violente et injuste, les deux sœurs Marieme et Bébé doivent rester unies. Elles se tiennent la main dans la nuit : la solidarité féminine est une question de survie. Ce geste de tendre une main dans le vide en attendant que quelqu’un l'attrape est constitutif du reste du film et revient à plusieurs reprises.
Après la défaite de Lady lors du combat de filles, Marieme tente de prendre la main de son amie mais celle-ci refuse et se soustrait à son étreinte. Marieme veut la suivre, mais quelqu’un la retient : c’est Ismaël qui lui a pris la main.
Céline Sciamma dépeint un univers hostile et violent où Marieme cherche des mains auxquelles s’accrocher. Des points de repère, des ancrages. Le moment où Lady lui refuse sa main, et où Ismaël lui propose la sienne, est peut-être le moment où Marieme commence à ne plus réfléchir en terme de bande, mais à son propre destin. Dans la dernière partie du film, elle quittera ses amies mais poursuivra sa relation avec Ismaël. Cette relation amoureuse lui appartient, elle n’est pas en partage avec le reste de la bande. Elle lui permet de s’affirmer en tant qu’individu.
Dans « Bande de filles », deux mains serrées construisent un rempart face à l’adversité. Elles sont à mettre en opposition avec les mains qui frappent, qui cognent. Marieme frappe Bébé sur le parvis de la Défense, de la même manière que son grand frère la frappait, elle. Dans la scène qui suit, qui se situe dans le RER, les deux sœurs finissent par se prendre la main à nouveau. L’étreinte pour résister aux coups qu’on reçoit, mais aussi aux coups qu’on porte.
4. L'édification de la bande
Lorsque Marieme rencontre pour la première fois la bande de filles, Lady lui dit : « T’as l’air vénère, ça m’intéresse ». C’est la colère qui émane de Marieme qui capte l'attention de Lady. Car les filles ont en commun de refuser les interdits : la loi des garçons, les limites sociales, le rôle de mère qu’on leur astreint trop vite (et Marieme joue déjà ce rôle pour ses deux petites sœurs). Entre elles, les filles s'appellent « frère », et épousent une forme de virilité pour vivre sur un pied d’égalité avec les garçons. Marieme est séduite par ces filles affranchies que les garçons traitent avec considération.
La balade dans le forum des Halles renvoie, dans sa manière dont elle est filmée, à la scène où le groupe se sépare petit à petit après le match de football américain (un cadrage large qui suit les personnages en travelling). Mais ici, le groupe ne se désagrège pas, il forme une ligne solide. Une ligne de front qui est un rempart contre l’hostilité de leur environnement.
B) Le destin de Marieme : la quête identitaire
1. Un horizon bouché
Lors du rendez-vous d’orientation au lycée, la conseillère est reléguée « hors-champ », c’est-à-dire qu’elle n’apparaît pas dans le cadre mais qu’on la sent toute proche. Cette absence dans l’image vient signifier qu’elle est déconnectée de la réalité de Marieme, les deux personnages n’évoluent pas dans le même « cadre ». Le cadrage se concentre donc sur le visage de Marieme, comme un portrait, afin de nous faire sentir toutes les émotions qui la traversent.
Marieme voudrait faire comme tout le monde mais on lui impose un CAP et il n’y a pas de seconde chance : « fallait y penser avant » lui dit sa conseillère. Il y a peu de profondeur de champ dans le cadre, c’est-à-dire que l’arrière-plan est flou et comme « aplati » derrière Marieme. Il n’y a pas de perspective dans l’image, puisqu’il n’y a pas de perspective pour le personnage.
Le film compte beaucoup de plans avec peu de profondeur de champ qui viennent traduire cet horizon bouché. Les cadrages plus larges, à « courte focale » (le décor est très présent à l’image) interviennent en contrepoint pour montrer la petitesse et la solitude des personnages dans les lieux qu’ils investissent.
A cette impasse scolaire se couplent les interdictions de la cité : Marieme ne peut pas vivre sa relation amoureuse avec Ismaël sous peine de déclencher la colère de son frère. Lorsqu’elle rend visite à sa mère qui travaille comme femme de ménage dans un immeuble de La Défense, Marieme a un aperçu du destin que le déterminisme social lui réserve. Mais elle menace la collègue de sa mère qui voulait la prendre avec elle tout l’été : Marieme refuse cet avenir.
2. Le modèle mimétique
Marieme est au départ taiseuse, en retrait, alors que ses nouvelles copines rient fort, hurlent face à une autre bande dans le métro, menacent une vendeuse méfiante. En fréquentant ces trois filles, Marieme va apprendre l’émancipation. La transformation est d'abord physique : cheveux relâchés, démarche plus assurée, vêtements calqués sur ceux de sa bande. Le changement a également lieu dans le comportement de Marieme : elle rackette une fille du collège qui aurait pu être elle, quelques semaines auparavant.
Marieme, véritable caméléon, a adopté les codes de sa nouvelle bande en prenant Lady comme modèle. Quelques scènes plus tôt, Lady met de la musique dans le métro et fait danser Marieme qui doit imiter sa chorégraphie : Lady s'impose en modèle mimétique, c’est-à-dire que Marieme doit s’aligner sur Lady, devenir Lady.
« Lady » est le nom gravé sur le collier de la jeune fille. Marieme reçoit des mains de Lady un collier qui lui attribue un nouveau nom : « Vic , comme victoire ». Lady renomme ainsi Marieme, elle lui donne une seconde identité, c’est une renaissance. Lady s’impose ainsi en figure maternelle.
Le moment où Marieme ment à sa véritable mère en lui faisant croire qu’elle passe en seconde marque justement le premier basculement – Marieme s’écarte de la cellule familiale pour rejoindre la bande de filles, qui devient sa nouvelle famille. Elle cache le couteau dans sa poche, imitant Lady – ce geste annonce son entrée dans un univers combatif et violent. Marieme entre en lutte.
3. Évasion
La chambre d’hôtel dans laquelle se réfugient les quatre filles est comme leur cocon hors du monde, le lieu qui leur permet de s’évader. C’est l’endroit où on boit et où on fume, l'endroit où on peut se mettre en robe (volées) et assumer sa féminité, se faire belle. L’endroit où on peut vivre pleinement sans peur des interdits et des regards masculins. Quelques mètres carrés pour vivre pleinement leur jeunesse.
La scène de danse sur la chanson de Rihana « Diamonds » est un moment où les personnages expriment une joie de vivre, un espoir. La lumière bleue vient déréaliser cet instant, en faire une image rêvée, fantasmée, qui échappe au quotidien. Les filles rentrent une par une dans le cadre, dans la danse. C'est un moment de lâcher-prise, de cohésion, sublimé par la musique, qui fonde définitivement l'appartenance de Marieme au groupe (sa robe bleue se marie à la lumière bleutée) et l'amitié qui unit les quatre filles. C’est aussi un moment qui nous informe de l’importance de l’imagerie américaine dans le processus créatif de la réalisatrice et dans la vie de ses personnages. En choisissant Rihana et en procédant d’un travail visuel proche d’un modèle clipesque hérité des États-Unis, Céline Sciamma montre comment la culture RNB américaine procède à la fois d’un processus d’identification et d’un ailleurs rêvé pour sa bande de filles.
C) Esthétique
Cette danse dans la chambre d’hôtel, c’est une liberté éphémère, mais conquise. Ce moment naît d’une posture esthétique forte (l’éclairage bleu non réaliste). La liberté, c’est l’esthétique, la recherche du beau, de la sensation artistique. C’est l’esthétique qui sort le film d’une posture « naturaliste » (qui consiste souvent à prendre une posture proche du documentaire, en caméra portée et avec une image peu travaillée), et qui parvient donc à sortir, le temps de cette danse bleutée, les filles de leur quotidien.
Mais ce travail de l’esthétique n'est pas seulement synonyme d’évasion. Dans le RER, la couleur violette du sweat de Marieme est la même que les sièges du train de banlieue. Par ce motif de couleur, elle est associée au RER, comme condamnée à être toujours en transition, perdue entre deux gares, entre deux vies.
Au-delà de la scène de danse qui fait comme une parenthèse (enchantée), la couleur bleue domine tout le film qui multiplie les murs bleus, les éléments de décors et les vêtements bleus. Il y a une volonté d'esthétiser la banlieue, de ne pas coller au réel, de réinventer cet espace et de se l'approprier par le cinéma avec une mise en scène anti « cinéma du réel ». Céline Sciamma s’inspire du « roman d’apprentissage de jeune fille », influencée par l’écrivain Jane Austen et la réalisatrice Jane Campion. L’ambition de son récit est donc romanesque, la trajectoire de son personnage doit être ample. Céline Sciamma lui fait parcourir des lieux graphiques et labyrinthiques.
Cette ampleur se traduit également par le choix de tourner en format « Cinémascope » (deux bande noire horizontales en haut et en bas de l’image), qui était à l’origine le format de prédilection du western. Une atmosphère froide se dégage de la cité dans laquelle vit Marieme de part cette récurrence de la couleur bleue. La réalisatrice privilégie la caméra sur pied (toujours pour s’éloigner de cette conception « naturaliste » du cinéma qui use principalement de la caméra portée) ou effectue des longs mouvements de caméra fluides. Cela crée un tempo particulier, flottant, qui laisse le temps et la place aux personnages d’exister.
D) Renversements
1. La violence
Céline Sciamma filme le combat de filles comme un duel de gladiatrices ; la caméra tourne autour de Lady et de son adversaire, la foule crie, la scène est très bruyante - il y a comme un vertige. La fin de la bagarre est annoncée quand l'une des combattantes a pris son tee shirt à l'autre, révélant les attributs de sa féminité en public : l'humiliation absolue pour ces filles qui veulent agir comme des garçons. « En fait t’es qu’une meuf » dira un jeune de la cité à Lady après qu’elle ait perdu son combat. Être une femme est une insulte, une preuve de faiblesse.
Les rôles s’inversent entre Marieme et Lady après la défaite de cette dernière. Lady devient taiseuse, elle perd son aura de « leader ». Ses cheveux ont été coupés par son père comme pour marquer physiquement sa défaite. La vidéo de l’humiliation de Lady a tourné dans le quartier, sa réputation est salie. Marieme, de son côté, mène en secret sa relation avec Ismaël et gagne en confiance. Elle décide de prendre la place de Lady lors du combat suivant. Marieme s’élève alors à la hauteur de son modèle. Elle vient remplacer Lady, la supplanter.
Cette scène intervient peu après que Marieme ait fait la rencontre de « Sweetie », ancienne membre de la bande : « c’était la quatrième fille de la bande, avant qu'elle ait son bébé ». Marieme se rend compte à ce moment que la bande l'a intégrée à l'origine pour remplacer Sweetie. On peut penser que c’est à ce moment qu’elle prend la décision de symboliquement « prendre la place » de Lady, la remplacer à son tour. « Je l'ai fait pour toi » dira Marieme à Lady en parlant de son duel. Mais Lady n’est pas dupe et lui répond : « Non, tu l'as fait pour toi ». Marieme continue à se développer et à s'assumer à travers ce rite de violence, qui est un passage initiatique.
Suite à la victoire de Marieme, son frère accepte de la laisser jouer aux jeux vidéo avec lui (plus tôt dans le film, il ne la laissait pas finir sa partie et lui intimait l’ordre d’aller dormir). Elle trouve grâce aux yeux de son frère quand elle se comporte avec virilité et violence.
Ils jouent à un jeu de football, et Marieme choisit l’équipe de France sans hésiter. Cela peut paraître un détail, mais cela souligne que l’enjeu de la construction identitaire de Marieme n’est jamais son appartenance à la nationalité française, qui est un acquis qu’elle ne questionne pas. Le trouble identitaire de Marieme se situe au niveau de l’appréhension de sa féminité et comment la vivre dans un monde restreint par la tyrannie masculine.
2. La tendresse
Dans une cage d’escalier, alors qu’ils sont sur le point de s’embrasser pour la première fois, la lumière s'éteint et plonge Marieme et Ismaël dans le noir. La mise en scène de ce premier baiser qui se déroule dans l’obscurité souligne que leur relation doit rester cachée, secrète.
Ismaël contraste avec les autres personnages masculins du film, il sait faire preuve de tendresse, de patience et de douceur. C’est Marieme qui prend l’initiative lorsqu’ils couchent pour la première fois ensemble, s’affranchissant des codes du patriarcat. Les clichés de cinéma sont renversés : c’est Marieme qui regarde les fesses d’Ismaël tandis que le jeune homme est étendu langoureusement sur le lit. En permettant aux femmes d’être fortes et viriles, Céline Sciamma offre au personnage d’Ismaël le droit d’être doux et objet de désir (de Marieme).
E) Bande de filles
1. La meute
Après la victoire de Marieme, la bande regagne sa réputation et s’agrandit. Les cheveux de Lady ont repoussé, elle a retrouvé sa place dans la cité. Un mouvement de caméra latéral parcourt les visages de toutes les filles qui composent la bande, l’arrière-plan est flou pour les mettre en valeur, les sublimer. C’est une dynamique de portrait de groupe, comme une photo de classe pour immortaliser ce moment où la bande est au maximum de ses capacités. Les filles dansent sans retenue, et la mise en scène met en avant la sensualité de leurs corps à travers des gros plans (des morceaux de leurs corps sont filmés de très près). Devenues une meute, les filles peuvent affirmer leur féminité. Ensemble, elles sont fortes.
Sur l’esplanade de La Défense, Lady et Marieme, vêtues quasiment à l’identique, reproduisent la chorégraphie que Lady enseignait à Marieme dans le métro plus tôt dans le film. Elles sont devenues identiques, égales.
A contrario de cette prise de pouvoir et cette affirmation de leurs corps, la scène du minigolf montre un aspect plus enfantin des personnages, qui se chamaillent autour des règles du jeu. Céline Sciamma montre que les filles ne sont pas sorties de l’enfance, elles sont encore dans un entre -deux : elles ne sont plus des jeunes filles mais ne sont pas encore des femmes. Elles sont encore en construction.
2. Les adieux
C’est à ce moment qu’un nouveau basculement intervient dans la vie de Marieme : son frère a découvert qu’elle a couché avec Ismaël. Rattrapée par la réalité, Marieme décide de partir pour aller travailler pour un caïd, Abou, dans un autre quartier. Elle doit alors dire adieux à ses amies.
La dernière scène de la bande de filles prend place dans la chambre d’hôtel : leur bastion, leur cocon. Elles rient, elles pleurent. Marieme leur explique son choix d’aller travailler pour Abou. « Tu rêves » lui dit Adiatou. « Explique-moi où je vis un rêve là » répond Marieme. Le rêve est fini, le destin s’en est mêlé, il est temps pour Marieme de quitter la bande. Une nouvelle étape commence.
Comme lors de leur première nuit à l’hôtel, les filles s’endorment pêle-mêle sur le lit. Un mouvement de caméra sort Marieme du cadre et balaye les autres filles. Quand la caméra revient sur Marieme, il ne reste plus qu’un vide à sa place et la main de Lady tendue vers elle, sans plus personne pour la prendre. Cette main tendue sur du vide fait écho aux diverses mains serrées l'une dans l'autre qui parcourent le film. Elle évoque à la fois l’absence de Marieme, sa disparition, et la solitude qu’elle va devoir maintenant connaître.
F) Métamorphoses – entre archétypes féminins et masculins
1. Un nouvel univers
A chaque étape de son parcours, Marieme a changé d’apparence pour s’adapter à son environnement. Cette fois la métamorphose est encore plus radicale. La caméra suit des chaussures à talon, en opposition aux baskets sur lesquelles s’est beaucoup appesanti l’œil de la caméra au cours du film. Flanquée d'une perruque blonde et d'une robe rouge, Marieme, méconnaissable, va vendre de la drogue dans une soirée d'un milieu aisé.
La transformation se fait également dans le style de l’image : des couleurs chaudes et un tapis rouge qui contrastent avec le bleu qui dominait le film jusqu’à présent. Nous sommes passés de la cité aux beaux quartiers – deux mondes en opposition. Ce changement d’univers s’accompagne d’un changement de couleurs du film.
Marieme, qui n’appartient pas à ce monde doit donc se travestir pour y circuler. A chaque fois qu’elle met son « costume » de vendeuse de drogue, les couleurs deviennent plus chaudes et le film dévie vers une ambiance très rouge.
2. Le ping-pong des genres
Marieme se change dans la voiture. Sous sa perruque blonde, des cheveux courts. Elle se métamorphose en « garçon » : jogging et sweat large, quotidien fait de pizzas, matchs de football à la télévision et jeux vidéo qui renvoient au modèle de son frère. Marieme oscille maintenant entre l'extrême féminité (sa tenue pour vendre de la drogue aux riches) et l'extrême masculinité. Elle est passée dans le camp des hommes, se comporte comme eux pour faire oublier qu’elle est une fille, dans un mécanisme de survie : de nouveau, elle s’adapte à son environnement.
Car l’alternative, c’est la prostitution, la présence de sa colocataire qui vit de passes nous le fait comprendre. Marieme va jusqu’à défendre un jeune de la bande qui force une fille à lui dire « merci » pour lui avoir lourdement signifié qu’elle était jolie. « Vas-y dis-lui merci ! » s’emporte Marieme. Cette scène montre comment Marieme s’est désolidarisée du « camp des femmes », et comment elle est définitivement entrée dans celui des hommes.
Marieme passe donc d’un genre à l’autre en fonction de l’environnement : féminité agressive pour dealer dans les soirées de la capitale ou travestissement masculin, avec poitrine dissimulée sous des bandes, pour se faire accepter dans la cité. Pour survivre, elle doit cacher sa féminité. Devenir un homme.
3. Le poids du destin
Lorsque Marieme rejoint la fête donnée par Abou après sa dispute avec Ismaël, sa colocataire l’invite à danser avec elle. Leur étreinte a quelque chose du slow romantique, et la douceur de la scène entre les deux filles renforce le trouble identitaire de Marieme qui apparaît une nouvelle fois comme un garçon.
Mais Marieme est tirée de son slow par Abou qui veut la forcer à l’embrasser : les filles qui travaillent pour lui, lui appartiennent. La sentence s’abat : par cette agression, Marieme est renvoyée, d’un coup, à sa féminité – elle ne peut pas lui échapper. Cette agression marque la fin de sa vie comme vendeuse de drogue pour un caïd.
Elle se réfugie chez Ismaël, qui lui propose de l’épouser. « D'un coup y'a plus de problème si on se marie. D'un coup t'es une fille bien ». Mais Marieme refuse d'être la « petite femme à la maison avec un gamin ». « J’en veux pas de cette vie de fille bien ». Plus tôt dans le film, la rencontre avec Sweetie l’avait poussée à se battre pour redorer le blason de sa bande. Sweetie représente ce que Marieme pourrait devenir, un modèle qu’elle refuse de suivre.
Marieme retourne vers sa famille, mais au moment de passer la porte, elle se résigne et revient en arrière. Un mouvement de caméra l’évince du cadre tandis qu'elle s'abandonne à son désespoir. N’ayant plus nulle part où aller, elle est condamnée au « hors champ », c’est-à-dire à être en-dehors de l’image. En arrière-plan, une vue sur cette banlieue qui est comme une prison, floue comme un horizon bouché.
Mais Marieme revient dans le cadre. Elle ravale ses pleurs, l’air déterminé. Elle reprend sa place dans l'image. Puis elle sort du champ de la caméra, traçant son propre chemin, choisissant de quitter d’elle-même les limites du cadre. La banlieue en arrière-plan, floue et indistincte, devient alors le champ des possibles. Un territoire à reconquérir.
– Quelles sont les perspectives offertes à Marieme pour son avenir ?
– Pourquoi Marieme décide-t-elle d’intégrer la bande de filles ?
– Qui fait la loi selon Marieme ? Comment est-ce représentatif d’un rapport de domination dans la cité ?
– En quoi Lady est-elle un modèle pour Marieme ? Pourquoi Marieme décide-t-elle de participer au combat de filles ?
– Quels sont les éléments qui permettent de comprendre les transformations successives de Marieme ?
– Pourquoi Marieme doit-elle vivre sa relation avec Ismaël en secret ?
– Pourquoi et à quel moment Marieme passe-t-elle dans le « camp des garçons » ? Quels sont les éléments qui montrent ce changement ?
– Comment comprenez-vous la toute dernière scène du film, lorsque Marieme retourne en bas de l’immeuble de sa famille ?
– Le tournage du film a eu lieu principalement à Bagnolet en Seine-Saint-Denis, dans la Cité de la Noue. L’équipe a également été filmer à La Défense dans les Hauts-de-Seine et au Forum des Halles à Paris.
– La musique originale a été composée par Para One, qui signait déjà la bande-son des deux premiers films de la réalisatrice Céline Sciamma. La scène de danse dans la chambre d’hôtel utilise la chanson « Diamonds » de la chanteuse Rihanna.
– Le casting a duré quatre mois et la réalisatrice a rencontré plus de trois cents jeunes filles.
– Les comédiennes du film ont été trouvées grâce à un « casting sauvage ». Karidja Touré, qui joue le rôle de Marieme, a été abordée alors qu'elle se promenait à la Foire du Trône. Mariétou Touré, est, elle, une habitante Bagnolet, tandis qu’Assa Sylla, qui joue le rôle de Lady, a été repérée à Paris, à Châtelet-Les Halles.