Les règles du jeu

En recherche d’emploi, un groupe de jeunes du nord de la France suit une formation dans une société spécialisée dans l'insertion professionnelle.

Thème(s): 
Public ciblé: 
Âge suggéré à partir de 12 ans
Genre: 
Documentaire
Durée: 
102 minutes
Langue: 
Français
Lieu Concerné - ville: 
Hauts-de-France
59100 - ROUBAIX
Date de sortie: 
2015
Réalisateur / Réalisatrice: 
Claudine Bories et Patrice Chagnard
Production: 
Agat films &Cie – Ex Nihilo

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AGATH FILMS & Cie – EX NIHILO

52, rue Jean-Pierre Timbaud 75011 Paris

01 53 36 32 32

courrier@agatfilms.com

aurore@agatfilms.com

julie@agatfilms.com

 

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1. Jeunesse attachante,

2. Dénonciation de la réalité du monde de l’emploi,

3. Émotion, entre gravité et légèreté.

La réalité du monde de l’emploi pour des jeunes défavorisés sans diplôme. On y découvre les codes qui régissent les entretiens d’embauche et comment s’y préparer. Mais à travers cette étude, c’est toute une critique du système que mettent en place les réalisateurs, révélant ses injustices, ses hypocrisies, sa comédie interne et ses absurdités.

Festivals 2014 :

- Festival de Cannes – sélection ACID

- Rencontres du Cinéma Documentaire

- Antenna Documentary Film Festival, Australie

- Espoo Ciné International film Festival, Finlande

- DOK Leipzig, Allemagne : Grand prix

Lolita n’aime pas sourire. Kevin ne sait pas se vendre. Hamid n’aime pas les chefs. Thierry parle wesh. Ils ont vingt ans. Ils sont sans diplôme. Ils cherchent du travail. Pendant six mois, les coachs d’un cabinet de placement vont leur enseigner le comportement et le langage qu’il faut avoir aujourd’hui pour décrocher un emploi. A travers cet apprentissage, le film révèle l’absurdité de ces nouvelles règles du jeu.

   « Un film existe parce que quelqu’un était là qui a vu et entendu quelque chose que lui seul pouvait voir et entendre », Patrice Chagnard et Claudine Bories.

Patrice Chagnard réalise son premier court métrage à 19 ans. Après ses études de philosophie, il entame un voyage de quatre ans en Orient et en Asie. De retour en France, il se lance dans la réalisation de films documentaires pour la télévision. Il fait des images aux quatre coins du monde. En 1995 sort son premier film pour le cinéma : « Le Convoi », l'odyssée de trois hommes qui acheminent de la nourriture vers l'Arménie pour une association humanitaire. Il collabore avec Claudine Bories depuis 1995.

Claudine Bories est née dans une famille ouvrière. Elle quitte le lycée à 16 ans pour se lancer dans le théâtre. Elle joue et monte des pièces jusqu’en 1975 où elle se tourne vers le cinéma. Elle réalise son premier film pour le grand écran en 1980 : « Juliette du côté des hommes » qui est sélectionné au Festival de Cannes l’année suivante. Elle dirige entre 1983 et 2002 l’association Périphérie, en Seine-Saint-Denis, où naîtront les Rencontres du cinéma documentaire.

Avant « Les règles du jeu », Patrice Chagnard et Claudine Bories ont co-réalisé un documentaire consacré aux demandeurs de droit d’asile en France : « Les Arrivants ».

En 1939 sort « La règle du jeu » réalisé par le cinéaste Jean Renoir. Ce film, que Renoir appelait une « fantaisie dramatique », nous plongeait dans les mœurs de la haute bourgeoisie à la fin des années 1930, et dépeignait ses codes, ses absurdités, ses comédies internes. Pour celui qui n’avait pas compris les codes de cette aristocratie, sa règle du jeu, l’issue fatale était le drame, la mort.

Le film de Renoir est cité comme référence directement par le titre du documentaire de Claudine Bories et Patrice Chagnard : « Les règles du jeu ». Comme chez Renoir en 1939, les cinéastes s’intéressent aux codes, aux absurdités, à la comédie des mœurs, présents ici dans le fonctionnement du monde du travail. Leur film, 75 ans plus tard, agit comme un miroir contemporain de l’œuvre de Renoir. La haute bourgeoisie des années 1930 devient ici la précarité de jeunes chômeurs du Nord de la France. Mais comme chez Renoir, l’issue est fatale à celui qui ne sait pas s’adapter aux règles. Et le jeu a changé.

La dimension tragi-comique qui était présente dans le film de Renoir existe également dans ce documentaire, mise en avant par l’utilisation de la musique qui apporte une légèreté au film, fonctionnant en contrepoint des drames personnels qui s’y jouent. Ce décalage produit une forme d’ironie, une fausse légèreté ; ce qui est comédie, farce, c’est tout le parcours du combattant qu’on impose à ces jeunes pour pouvoir décrocher des emplois, ultimement, précaires. La comédie est sociale et se joue dans le réel. La musique est là comme pour souligner cette grande comédie à laquelle doivent se plier ces jeunes désespérément en recherche d’emploi.

Mais de nombreux obstacles se dressent entre eux et le Saint-Graal dont ils sont en quête - le CDD. Le premier de ces obstacles est le langage : les mots, l’expression orale. Face à la difficulté pour ces jeunes de s’exprimer, de trouver les bons mots, le bon rythme de parole, le bon registre, il y a le langage froid, « professionnel », technique, qu’on veut leur faire apprendre. Il n’y a pas de rencontre de langages, ou de pensées, le jargon du monde de l’emploi vient se superposer à celui propre à chaque jeune, de manière contre-pédagogique. On peut alors voir Lolita réciter son monologue d’entretien d'embauche comme une leçon d'école. On leur met quelque chose dans la tête avec lequel ils ne connectent pas. Thierry s’arrête lorsqu’il a un trou de mémoire sur ses qualités ; de même, Lolita a une hésitation sur son « savoir-être » (définition d’une « qualité » dans le monde de l’emploi). Ce documentaire est l'histoire de jeunes qui ne savent pas « être » comme il faut, qui ne savent pas « paraître ». Le film questionne la norme, et le sort de ceux qui ne parviennent pas à s'y conformer.

Ce « savoir-être » est d’abord un « savoir s’habiller ». Piercings interdits (ils disparaissent du visage de Lolita au cours du film), baskets prohibées... « Moi je suis pas une personne par rapport à mes baskets » dit Kevin. Mais le vêtement est l’homme, et la métonymie de la chaussure révélerait donc qui est l’individu : c’est-à-dire qu’une chaussure dit quelque chose d’une personnalité, d’une compétence, d’une motivation. Ce monde dont Kevin rêve où un homme n’est pas jugé sur ses chaussures, il est un lointain souvenir : « avant on frappait à une porte avec un CV et on avait un travail » raconte sa conseillère en soulignant que cela n’est plus vrai aujourd’hui.

Dans ce même élan de désillusion, lorsqu’on lui demande pourquoi elle vaut mieux qu’un autre candidat, Lolita répond : « une personne c’est une personne ». En une phrase, toute la détresse, l’incompréhension du processus de compétitivité se fait entendre. C’est ce qui se joue au cœur du film : l’absolue incompréhension de ces jeunes face au jeu qu’on leur demande de jouer, qui va contre le bon sens, contre tout ce qu’ils sentent être vrai  à l’intérieur d’eux-mêmes. Des jeunes qui n’arrivent pas à accepter la mascarade, le simulacre : « j’arrive pas à me vendre » répète Kevin, perdu dans un monde où chacun est devenu sa propre petite entreprise, le commercial de soi-même. « L’entreprise sait si elle va vous embaucher en 13 secondes » les prévient-on : vitesse, immédiateté, culte du paraître ; tout le processus d’insertion dans le monde du travail est l’inverse du processus de la vérité et de la connaissance. La grande comédie de l’emploi fonctionne sur un système de « masques » et de « maquillages », dont la grande vitrine est le sacro-saint CV, parfaite devanture qui transforme les êtres en surface plane.

« On est dans la vie active Hamid, on n’est pas dans un jeu » lance le directeur de formation. Pourtant, tout semble relever du jeu, et même de la mise en scène, dans cette tour surréaliste perdue au milieu d’un terrain vague. Les demandeurs d’emploi doivent apprendre un texte, et faire les acteurs – changer leurs attitudes, leurs voix, leurs faciès... Et le « café-contact de l’emploi » qui organise des « speed-datings » entre les jeunes et les entreprises a même lieu dans un cinéma ! L’animateur fait le « Showman » à l’américaine dans son micro, et derrière lui la caméra capte l’affiche de « Gangster Squad », métaphore visuelle ironique qui désigne le gang de ces entreprises réunies pour juger un jeune en « 13 secondes ».

« Je ne vous demande pas de me mentir, je vous demande d'expliquer les choses d'une autre façon ». Cette distinction expliquée à Lolita a bien du mal à être intégrée par les jeunes chômeurs du film, mis face à un processus réflexif à la fois insondable et absurde : « quelles sont vos qualités ? Vos défauts ? » Les cinéastes filment l’hésitation, le trouble, le vertige de ces jeunes en pleine perte de repères, face à cette abyssale injonction : « connais-toi toi-même ». Cela donne lieu à des retournements de situation où le langage froid et technique laisse place à un véritable échange humain : les conseillers deviennent alors malgré eux partie prenante d’un travail d’accompagnement social, qui requiert empathie et patience. Une séance de psychanalyse improvisée, où Lolita raconte par exemple qu’elle a une fois enfoncé son compas dans l’œil d’un camarade de classe, ou alors qu’elle « encaisse, encaisse », avant de « péter un câble ».

Plus le film se déroule, plus cette empathie se fait sentir, de la part des conseillers qui apprennent à connaître les jeunes qu’ils forment, mais aussi de la part des cinéastes, dont la caméra est de plus en plus immergée, liée aux destins des personnes qu’elle suit. Ils arrivent à saisir quelque chose de ces jeunes, dans leurs regards perdus, dans leurs yeux où on peut lire qu’ils savent déjà que quelque chose est comme fichu d’avance, comme s’ils sentaient qu’on ne pouvait pas gagner à ce jeu. Les cinéastes arrivent à saisir leur humanité, leur « être », plutôt que leur « savoir être ». Ils n'hésitent pas à laisser de la longueur dans les images, comme pour aller à l’encontre des fameuses « 13 secondes » - ils cherchent ce qui se cache derrière le paraître, l’invisible : les émotions, la pensée.

Ils filment des ascensions et des chutes, symbolisées par l’ascenseur qui redescend au rez-de-chaussée ou monte jusqu’au sixième étage. Les chutes, ce sont tous ces moments de désespoir intense, où il semble impossible d’accéder au monde du travail : la rage de Kevin qui ne comprend pas pourquoi on ne l’embauche pas, son sentiment d’injustice, sa colère. La violence d’Hamid quand il parle de son frère : « Il sait pas ce que c'est lui de dormir dehors et de pas manger pendant trois jours ». La résignation de Lolita, au bout du rouleau après des mois d’efforts : « J’ai une vie pourrie. Donc je fais pas de sourires. Pour moi c’est foutu depuis longtemps ». Les ascensions, ce sont ces moments de victoires où Hamid trouve un stage, où Thierry est embauché par une grande marque de concepteurs de vélos.

Mais rapidement vient une nouvelle désillusion. Hamid arrête d’aller à son stage. Thierry travaille 43 heures par semaine, l'entreprise accepte de renouveler son contrat mais sans payer les heures supplémentaires. « Je veux pas faire de CDI. Je trouve que c'est dur. Moralement et physiquement. Ils te mettent la pression, ils en veulent toujours plus » dit-il. Injustice des salaires, course au rendement permanente et éreintante….le film se conclue sur l'expérience amère d'un monde du travail livré au capitalisme sauvage. C’était annoncé plus tôt dans le film, quand le directeur de formation racontait aux jeunes le parcours d’une jeune femme : « on l'a prise à l’essai non rémunéré pendant trois semaines. On l'a pas gardée parce qu'elle a été malade une fois. Mais elle a pu mettre l’expérience sur son CV ». Il ajoute, en parlant d’un jeune qui serait respectueux de la politesse : « Là c’est pas un jeune, c’est un professionnel, c’est un adulte qui vient chercher un emploi ». Le travail prend une valeur morale qui permet d’accéder au « rang » d’adulte.

Et il y a quelque chose, à la fin, sur le visage de Lolita, qui témoigne de cet effondrement qui accompagne l’entrée dans le monde du travail, le « monde des adultes » où il faut arranger la vérité et se vendre (pour ensuite être consommé). Quelque chose, sur ce visage, de « foutu depuis longtemps ». Mais, en même temps que les conseillers, nous avons appris à connaître Lolita, à voir son humanité, sa « personne », son « être » plutôt que son « savoir-être ». Par notre regard posé sur elle, Lolita est moins seule, et Lolita n'est plus foutue : nous voulons la sauver avec nos yeux. Nous sommes là, soutiens invisibles, pour la regarder continuer d'encaisser.

- Quels sont les obstacles que rencontrent les jeunes demandeurs d’emploi pour obtenir un travail ?

- Quel rapport pouvez-vous tisser entre faire du cinéma et préparer un entretien d’embauche ?

- « Une personne est une personne». Comment interprétez-vous cette phrase de la jeune Lolita lorsqu’on lui demande pourquoi elle vaut mieux qu’un autre candidat ?

- Kevin dit : « moi je suis pas une personne par rapport à mes baskets ». Quelle est l’importance des vêtements dans ce film ? Que pensez-vous de la réaction de Kevin ?

- Pourquoi Thierry veut-il arrêter son travail chez le concepteur de vélo à la fin du film ?

- Est-ce qu’on peut travailler sans être un adulte, ou est-ce que travailler ça veut forcément dire devenir adulte ?

- Selon vous, et en se basant sur le film, qu’est-ce qui fait la différence entre une personne motivée et une personne très motivée pour décrocher un emploi ?

- La société Ingeus, qui accueille les jeunes pour les former à la recherche d’un emploi, possède 35 sites répartis en France.

- Les cinéastes nous parlent de leur documentaire : « le cinéma documentaire, celui que nous aimons, celui que nous faisons, n’a pas pour vocation de distraire, de démontrer ou d’enseigner. Il témoigne. Il engage. Il engage celui qui le fait et il engage aussi celui qui le voit ».

- 130 heures d’images ont été tournées, pour en garder les 1h43 qui constituent le film.

- En 1992, Patrice Chagnard a fondé, avec d’autres cinéastes documentaristes, l’association ADDOC, qui regroupe des cinéastes documentaristes, et dont il est le président. C’est là qu’il rencontre Claudine Bories qui en est la vice-présidente.

- Patrice Chagnard et Claudine Bories co-réalisent depuis 2005.

- Claudine Bories a créé la première salle de cinéma art et essai en banlieue, le Studio d’Aubervilliers.

- La société Ingeus France était réticente à l’idée du tournage du documentaire dans ses locaux. Par chance, la directrice est une cinéphile ! Cela a permis aux cinéastes d’expliquer leur démarche et de la convaincre.

- Les réalisateurs avaient d’abord pensé tourner dans un organisme public comme Pôle Emploi, mais les demandeurs d’emploi n’étaient pas constants dans leurs rendez-vous. Ingeus, société privée financée par l’État, propose aux jeunes une bourse de 300 euros par mois sous réserve de venir régulièrement s’entretenir avec les conseillers, ce qui apportait aux cinéastes la constance dont ils avaient besoin pour suivre de jeunes chômeurs en recherche d’emploi sur une période suffisamment longue.