Vers la tendresse

Une exploration intime du territoire masculin d’une cité de banlieue.

Thème(s): 
Public ciblé: 
Âge suggéré à partir de 12 ans
Genre: 
Documentaire
Durée: 
40 minutes
Langue: 
Français
Lieu Concerné - ville: 
93100 - MONTREUIL
93600 - AULNAY SOUS BOIS
BRUXELLES
Lieu Concerné - specifique: 
Cité des 3000 (Aulnay-sous-Bois)
Date de sortie: 
2015
Réalisateur / Réalisatrice: 
Alice Diop
Comédiens: 
Modibo Diarra
Samaké Diarra
Nidhal Majdoub
Maher Bouffera
Patrick Zingilé
Anis Rhali
Thaniat Satirou
Production: 
Les Films du Worso

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Les films du Worso

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1. Témoignages bouleversants,

2. Film porteur d’espoir,

3. Sujet rare.

L’amour en banlieue est la plupart du temps un sujet tabou chez les hommes, qui souvent agissent selon des codes de masculinité qui ne leur appartiennent pas afin d’échapper au jugement et d’être confrontés au regard des autres. En libérant la parole de quatre jeunes hommes au son et en suivant les errances de quatre autres à l’image, la réalisatrice Alice Diop parvient à déconstruire les clichés et à explorer leurs désirs cachés et leur sensibilité refoulée.

Distinctions :

Les César du Cinéma Français 2017 - César du meilleur court-métrage

FIFF-Festival International de Films de Femmes 2016- Créteil (France) - Prix du public, Meilleur court métrage français et Prix Ina réalisatrice créative

Festival du Cinéma de Brive Rencontres du moyen métrage 2016- Brive (France) - Grand Prix France 2016

Festival Silhouette - Paris (France) - 2016, Prix du jury jeune et Prix du jury documentaire

 

Diffusion :

France 3

En suivant l’errance d’une bande de jeunes hommes, nous arpentons un univers où les corps féminins ne sont plus que des silhouettes fantomatiques et virtuelles. Les déambulations des personnages nous mènent à l’intérieur de lieux quotidiens où nous traquons la mise en scène de leur virilité. En off, des récits intimes dévoilent sans fard la part insoupçonnée de leurs histoires et de leurs personnalités.

Née à Aulnay-sous-Bois en 1979, fille de parents sénégalais, Alice Diop a grandi jusqu'à l'âge de 10 ans dans la Cité des 3000. Après un Master en Histoire et des études en sociologie visuelle, Alice Diop intègre l'atelier documentaire de la Fémis. Elle réalise des documentaires depuis 2005.

Introduction : des témoignages pour casser l’image de la virilité.

« Vers la tendresse » part d’une démarche documentaire : la réalisatrice Alice Diop a réuni des témoignages de jeunes hommes vivant dans les banlieues exprimant leurs visions de l’amour. Mais le film fonctionne sur une démarche de « fiction » très forte : les images qui accompagnent ces témoignages audios n’entrent pas dans le processus documentaire classique, elles donnent au film une dimension de « mise en scène » qui se rapproche du cinéma de fiction. Ce mélange entre documentaire et fiction donne au film son identité, et permet de faire dialoguer le son et l’image : ils peuvent fonctionner ensemble ou bien au contraire rentrer en contradiction. De cette « friction », ce rapprochement entre un travail documentaire sur le témoignage audio et un travail plus proche de la fiction dans l’image, né un espace de réflexion pour le spectateur, qui doit interpréter ce qu’il voit en fonction de ce qu’il entend.

La question de l’amour en banlieue a majoritairement été abordée du point de vue féminin. En choisissant de s’intéresser à la vision de quatre hommes, Alice Diop nous plonge dans une réalité peu explorée jusqu’alors. Qu’est-ce que c’est, être un homme dans une banlieue où la virilité et la masculinité sont des armes pour garder la tête haute, et des codes identitaires forts pour exister ?

Le film commence dans un environnement hautement « viril » justement : une salle de boxe où de jeunes hommes frappent en rythme dans un punching-ball, comme s’il s’agissait d’un rituel à accomplir. Les hommes sont entre eux, et se regardent être des hommes, sensation appuyée par la présence du miroir dans le cadre. Mais à chaque coup porté, le miroir tremble, faisant vaciller les reflets des jeunes hommes. Cette image de la masculinité est fragile, prête à céder sous la pression des coups. Cette scène fait office d’introduction : Alice Diop y annonce, d’une certaine façon, qu’elle va faire trembler cette image virile, qu’elle va aller chercher « de l’autre côté du miroir ».

Cela se fera grâce aux témoignages de la bande-son du film. Dans un souci d’équité, pour ne pas qu’une vision de l’amour paraisse plus importante qu’une autre, le même temps est accordé à chaque témoignage. Le film se divise donc en quatre parties de longueurs égales. Ces témoignages sont comme des monologues intérieurs : si les jeunes hommes qu’on entend parlent d’amour avec la réalisatrice (qu’on entend également parfois en bande-son), le montage de leurs voix est construit pour nous donner la sensation qu’ils dialoguent avec eux-mêmes.

 

Le premier témoignage.

Le film nous immerge dans un premier temps dans le quotidien d’une bande de jeunes en les accompagnant dans les lieux de leur routine. La salle de boxe, le Kebab, le PMU, le coin de rue où ils restent jusqu’à la nuit. Alice Diop filme des jeunes hommes en errance, déconnecté de la « vie active ».

En bande-son, le premier témoignage dépeint un monde de relations d’un soir qui ne tournent qu’autour de l’acte sexuel. « C’est quoi une salope ? » demande la réalisatrice. « C’est une meuf qui s’en bat les couilles » répond le jeune homme, avant d’ajouter : « mais je suis un salaud moi aussi. Je fais partie de ce monde-là ». Rapidement, les clichés sur la vision qu’ont les hommes vivant en banlieues des femmes (des « salopes » et des « filles faciles ») laissent place à l’expression d’un regret : celui de ne pas parvenir à construire une relation « sérieuse » avec une fille. Le jeune homme ne sait pas où chercher, il ne sait pas comment être. Il est désarmé face à la question des relations amoureuses.

Une unique voix se fait entendre en bande-son, mais plusieurs corps l’incarnent à l’image. Un mouvement de caméra latéral (appelé « mouvement panoramique ») passe d’un visage à l’autre tandis que les personnages sont assis au Kebab. Une seule voix, donc un seul mouvement de caméra qui vient lier ces visages pour nous faire comprendre que la voix que l’on entend les concerne tous, qu’elle pourrait être celle de chacun d’entre eux. Ces jeunes sont engoncés dans leurs doudounes, bonnets, casquettes, capuches, qui leur font comme une armure, une carapace, et expriment leur besoin de se protéger du monde, de créer une façade.

La mise en scène privilégie les cadrages fixes (la caméra ne bouge pas), qui figent les personnages dans leur quotidien, dans leur routine. Ces jeunes hommes sont comme immobilisés dans leur environnement, ils ne sont pas en mouvement. Ils restent assis au Kebab ou au PMU, où restent prostrés dans leur coin de rue qui semble avoir été élu au hasard, arbitrairement. Ils bloqués dans leur quotidien, bloqués par l’impossibilité d’exprimer ce qu’ils ressentent : « tu peux pas étaler tes problèmes amoureux comme ça devant des clébards assoiffés ».

Petit à petit, à mesure que la nuit tombe sur leur coin de rue, la caméra se rapproche de ces jeunes hommes, jusqu’à être très près de leurs visages. Dans les plans plus larges, qui laissaient plus d’espace dans le cadre, les voitures passent devant la caméra, bouchant la vue, obstruant momentanément notre vision des personnages, engloutis par leur environnement. Lorsque la caméra se rapproche de leurs visages, leur environnement est relégué au flou – il disparaît. Il y a un rapport conflictuel entre eux et leur environnement, celui-ci est soit trop présent, soit pas assez. Les visages expriment une mélancolie qui ne peut pas être partagée avec leur entourage. La voix off vient délier leur parole, dire ce dont ils ne peuvent pas parler dans leur quotidien.

« C'est dur de parler d'amour. On connaît pas l'amour en banlieue. C'est les blancs qui connaissent l'amour, parce que leurs parents ils leur ont montré, ça part de la maison ».

Dans la profondeur de champs, en arrière-plan, des « blancs » sont en terrasse, filles et garçons mélangés. Le montage sépare nos jeunes de ces « blancs », comme si c'était un monde hors de leur portée, qui se tient pourtant juste au bout de la rue. « J'ai jamais vu mon père embrasser ma mère » dit la voix off. L’amour est-il culturel ? Est-il une affaire d’éducation, de modèle parental ?

Nos jeunes hommes décident de casser leur routine et de s’évader en roulant de nuit pour rejoindre Bruxelles. A moins que ce voyage en Belgique ne fasse partie intégrante de leur routine ; un pèlerinage régulier intégré à leur quotidien. Le documentaire prend alors plus que jamais une forme hybride, traversée par la fiction : le jeune homme fume une cigarette sur une musique lancinante en roulant de nuit sur une route atmosphérique pleines de néons et de phares. On est rentré dans l'univers du personnage, sa route, sa nuit, sa musique, son sentiment d'errer dans un film solitaire. Mais il n’est pas seul, ses compagnons d’errance sont dans la voiture avec lui. Ils sont « seuls ensemble ».

 

Le deuxième témoignage.

Le deuxième témoignage que nous entendons en voix off raconte que les garçons et les filles ne se mélangeaient pas lorsqu’il était plus jeune. Dans son lycée technologique, il vivait « une ambiance un peu prison ». Pour lui, « l’amour tu connais quand t’es enfant ». L’amour relèverait d’une forme d’innocence qu’on perd en grandissant ? Il raconte ses addictions à la drogue, pour compenser son manque d’amour. Pour lui, les femmes se détachent en deux grandes catégories : les « filles faciles » et la femme qu’on pourra aimer, « la bonne femme dans ce monde ».

Pendant ce temps, la voiture se reflète sur la surface vitrée d’un immeuble, en écho au miroir de la salle de boxe dans la première scène. En racontant leurs sentiments, ces jeunes hommes nous font percevoir l’image qu’ils se renvoient à eux-même, comment ils se voient, se pensent. La voiture crée comme un espace de confession, un « confessionnal sur roues ». Un espace où on n’a pas besoin de faire semblant, où on n’a pas besoin de jouer le « théâtre social ». C’est un espace intime.

Les jeunes hommes arrivent à Bruxelles, au « quartier rouge » où défilent des filles exposées en vitrine comme des objets prêts à être consommés. Dans cette longue prise de vue sur l’enchaînement de femmes en vitrines, le sexe n'est envisagé que comme échappatoire, consommation, divertissement. L’acte sexuel est détaché du sentiment amoureux. Dans un monde d’hyper-consommation, on fait l'amour comme on commande sur Amazon, comme on s'achète un nouveau smartphone. Consommer et aimer, deux notions très liées dans la tête du jeune homme qui témoigne que pour lui « ça bloque au niveau du matériel, des finances. De ce que t’as ». Le fameux « pouvoir d’achat » serait lié à notre capacité à être aimé ? Ces deux premiers témoignages nous présentent des hommes avant tout incapables de s’aimer eux-mêmes, prisonniers d’une image de défaite et de marginalité que leur renvoie une société où il faut acheter pour être aimé.

Les vitrines qui se tiennent entre les garçons et les prostituées ont un rôle paradoxal : à la fois, elles leur permettent « d’accéder » au corps féminin dans une relation de « service », de consommation, et en même temps ces vitrines renvoient à l’idée que le corps féminin leur est inaccessible, que la femme est un corps étranger séparé d’eux par une vitre. Le fait que le corps féminin leur soit accessible par le biais d’un service de prostitution renforce le fait qu’il leur est inaccessible dans d’autres circonstances. Pour s’échapper de ce désir paradoxal, entre tentation du sexe consommable et recherche secrète du sentiment amoureux, les jeunes s’oublient dans l’alcool.

Toutes ces femmes dans les vitrines se confondent sous les lumières au néon qui rendent leurs corps fantasmatiques, comme irréels - il n'y a plus d'humanité sous les corps, elles ne sont plus que des corps. Elles deviennent des fantasmes, donc elles deviennent désincarnées. « Je sais pas ce que c’est une femme » nous dit la voix off, « la seule tendresse que j’ai eu, c’est de ma mère ». Le regard d’un des jeunes hommes s'attarde alors sur une fille noire en vitrine, que la caméra filme en plan rapproché. Elle dénote par rapport aux autres filles qui avaient toutes le même profil physique. Celle-ci, soudain, semble exister, avoir une humanité derrière sa vitrine. Être une femme, plus qu’un fantasme de femme.

 

Le troisième témoignage.

« Quand tu rentres pas dans les normes, t'es une petite fille, t'es un pédé. C'est la violence, la violence des mots. Je voulais pas rentrer dans une théâtralisation de mon personnage, à jouer les cailleras ». Le troisième jeune homme qui témoigne en voix off refuse le théâtre social dicté par son environnement. Lui n’est pas bloqué, pas figé, il va vers une acceptation de lui-même - c’est la première fois que la voix qu’on entend témoigner correspond au corps qu’on voit à l’écran.

Comme il a refusé de se figer dans un rôle, dans un code social, la réalisatrice le film en mouvement, il marche dans la rue et la caméra le suit – elle est mobile, contrairement aux deux premiers témoignages où le cadre était souvent rigide.

« Les mecs les plus hostiles, entre eux ils se font des plans cul, ils sont jamais avec des filles ». Le jeune homme nous explique qu’en banlieue, l'acte sexuel homosexuel est toléré à condition d’être le « mâle dominant ». « Si tout est basé sur la sodomie, c'est pour pouvoir se détacher de cette notion d'amour. Si je suis amoureux, je suis pédé ». L’amour est perçu comme une faiblesse, et l’image qu’un homme doit véhiculer est une image forte et virile. Les hommes vivant en banlieues sont prisonniers de cette image.

Le jeune homme monte dans le RER, qui répond en écho à l'espace de la voiture. Un nouveau « confessionnal », mais plus ouvert sur l’autre : là où la voiture créait à la fois une intimité et un repli sur soi, l’espace du RER entoure le jeune homme d’autres voyageurs anonymes.

 

Le quatrième témoignage.

Le quatrième témoin assume son côté "loveur" et n'a pas de mal à afficher ses sentiments et son désir d'être en couple. Lui non plus n’est pas prisonnier d’un rôle social, et la caméra est en mouvement. Là aussi, le témoignage audio correspond au corps qu’on voit à l’image. La chambre d’hôtel constitue un refuge pour le couple, qui se substitue à l’espace de la voiture et à celui du RER. Leur amour y semble à l'abri.

Le mouvement du film peut se lire en termes de mouvements de caméra. Dans le premier témoignage, la caméra est fixe, alors que dans le second, elle se met en mouvement pour filmer le défilement des vitrines de prostituées. Dans le troisième témoignage, nous suivons le jeune homme parcourir sa cité. Dans le quatrième, la caméra, très près des visages, filme les amoureux s'embrasser, elle épouse le mouvement de leurs corps. Petit à petit, le film se dirige vers la tendresse, partant d’un quotidien figé où les corps sont frustrés jusqu’au cocon de la chambre d’hôtel où l’acte sexuel est l’expression de l’amour d’un couple.

Pour la première fois, on entend les personnes à l'image parler directement, dialoguer. La parole s’est libérée à l’intérieur même de l’image. La jeune femme a un anneau dans le nez, comme celle que contemplait le jeune homme dans la vitrine du quartier rouge de Bruxelles. Dans cette chambre d’hôtel ne se joue pas la réalisation d’un fantasme, mais la concrétisation d’un amour. Ce sont les humanités des personnes qui sont en jeu. En voix off, le jeune homme explique que si la honte et le jugement semblent plus forts que l'amour au départ, l’amour dépasse tout le reste une fois qu’on y a accès. Un amour qui a éclot au milieu d'une zone industrielle pourtant si peu romantique.

Le film, du premier témoignage très cru et figé, au dernier qui s'ébat dans la douceur, va bien vers la tendresse, et nous montre qu’il est possible d’aimer en tous lieux. Il donne l’espoir que l’amour peut dépasser les représentations sociales.

- Selon vous, l’amour est-il culturel ou universel ?

- Faites-vous une différence entre l’amour et le désir ?

- Qu’est-ce que ça veut dire « consommer du sexe » ? Est-ce que la façon dont on envisage l’acte sexuel a un rapport avec la société de consommation ?

- Qu’est-ce qui exprime dans le film, à l’image, le fait que certains de ces garçons sont bloqués dans leur quotidien ? Pourquoi sont-ils bloqués ?

- Qu’est-ce qui exprime au contraire selon vous le fait que d’autres ont réussi à dépasser leurs blocages ?

- Pourquoi l’amour est-il un sujet aussi tabou pour les hommes en banlieue ?

- Comment comprenez-vous le titre du film ?

- Quelles sont les idées reçues sur les femmes qu’on entend dans le film ?

- Quelles idées reçues sur les hommes le film parvient-il à mettre à mal ?

- Alice Diop, réalisatrice du film, voulait à la base réaliser un film de fiction sur le thème de l’amour en banlieue. Elle a organisé un atelier sur le thème de l’amour en Seine-Saint-Denis pour réunir des témoignages afin de l’aider dans l’écriture de son film. Mais les témoignages audio l’ont tellement marquée qu’elle a décidé de les utiliser comme élément principal et de construire le film autours d’eux.

- La ville où les jeunes hommes vont admirer des prostituées derrière des vitrines n’est autre que Bruxelles.

- L’hôtel où se rend le couple se situe dans la Cité des 3000 à Aulnay-sous-Bois. C’est là où a grandi la réalisatrice.

- Les jeunes hommes qui sont filmés pendant les deux premiers témoignages du films habitent le même quartier que la réalisatrice, à Montreuil. A force de les voir passer leurs journées aux mêmes endroits, elle a fini par leur proposer de faire partie de son film.

- La femme noire dans la vitrine n’est pas une prostituée. L’ayant trouvée très belle, Alice Diop a demandé à cette femme rencontrée en Belgique et qu’elle ne connaissait pas de jouer dans son film.