De la cité provisoire, rue Gutenberg, à la cité Pablo-Picasso, un jeune homme raconte ses années d'adolescence à Nanterre, et comment il est parvenu à sortir du monde de la drogue.
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1. Intime,
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Le témoignage de Smaïn, jeune Français d’origine marocaine, dresse l’histoire de sa banlieue, et le portrait d’une génération issue de l’immigration qui a grandi avec le sentiment d’être en marge de la société. Avec sincérité et esprit d’analyse, il raconte la difficulté de grandir dans une cité défavorisée, et donne des clés pour comprendre le chemin qui conduit vers la délinquance, et la volonté d’en sortir.
Diffusion :
Vosges Télévision
Distinction :
2012 : Scam - Paris (France) - Étoile de la Scam
Smaïn, jeune Français d’origine marocaine, raconte son histoire : son adolescence à la cité Pablo Picasso, le deal au pied des tours, l’école dont il s’éloigne, la violence de la drogue, la prison et puis le déclic, la volonté de vivre autrement.
Résumé disponible sur le site divergences : http://divergences.be/spip.php?article1729
Smaïn regarde l’objectif et raconte son enfance dans une cité provisoire, rue Gutenberg, à Nanterre, où il est né. Enfant d’une famille nombreuse, un père marocain. Il décrit la vie dans cette banlieue, le déménagement à la cité Pablo Picasso, la baignoire, le confort et le rêve après la cité provisoire et les conditions précaires…
Changement de vie, mais le racisme, la discrimination et les idées toutes faites gâchent le tableau idyllique de la petite famille. Le rejet par les Français des quelques familles de la cité se matérialise par des pétitions : « ils voulaient pas de nous, ils disaient qu’on était sales, ils ont fait une pétition pour qu’on se tire. Au final, c’est eux qui se sont tirés ».
Les années d’adolescence, l’absence d’intérêt pour les cours et les filières qu’on lui propose, l’échec scolaire, puis le deal au pied des tours, les parents désemparés, le chômage, la drogue qui tue les frères, l’absence de projet, de futur, la violence, la prison. La prison où il se révolte contre la fatalité de l’enfermement. Pas question de s’enfermer lui-même dans une spirale de la destruction, comme si naître fils d’immigré et en banlieue ne pouvait qu’aboutir à la taule, être victime du sida ou bien de la violence.
Aujourd’hui, il est « intégré », comme on dit, dans le monde du travail, il a même obtenu une certaine reconnaissance… Mais les espoirs et les rêves ? Smaïn, lucide, analyse sa vie, son environnement et les règles d’une société inégalitaire…
Anna PITOUN est née en 1976 à Paris. Avocate de formation puis chercheuse au CNRS en droit pénal, elle commence la réalisation de documentaires en 2001.
Elle a tourné une dizaine de court-métrages ainsi que deux long-métrages : « Kings of the World » (2007), road-movie documentaire sur les Etats-Unis, co-réalisé avec Valérie Mitteaux et Rémi Rozié, diffusé sur TPS en juillet 2008 ; et « Caravane 55 » (2003), co-réalisé avec Valérie Mitteaux, diffusé sur France 5, Planète et KTO TV.
Le film s’ouvre sur le défilé du 14 juillet. Seul dans son appartement, Smaïn contemple cette célébration de la nation dans son téléviseur. Des hélicoptères volent au-dessus des tours de la cité Picasso, où il vit. Smaïn les regarde passer par la fenêtre, puis dans l'écran de sa télé qui fait comme une fenêtre sur la France. On le sent détaché de cette parade, de cette musique de fanfare. Il regarde les hélicoptères passer dans le ciel avec mélancolie : ils ne s'arrêteront pas à la cité Picasso, ils ont rendez-vous dans la télévision, un endroit inatteignable pour Smaïn.
Le 14 juillet est le jour qui célèbre la République française. Cette fête commémore la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, symbole de la monarchie absolue. Smaïn, dans sa cité Picasso, fait-il partie de cette fête, lui aussi ? Est-il un enfant de la République au même titre que tous les autres ?
Lorsque démarre l’entretien qui sera la matière du film, Smaïn est au départ silencieux. Il répond laconiquement, avec parcimonie : il se livre avec sincérité, mais avec lenteur, petit à petit. Il s’exprime clairement, calmement, et raconte son histoire personnelle avec beaucoup de lucidité et d’acceptation, parfois avec colère, mais jamais avec haine. En partageant son histoire, Smaïn se l’approprie, il fait comme un pas de côté pour regarder sa vie, l’analyser, la comprendre.
Parfois l'image et le son se désynchronisent : on entend la voix de Smaïn mais il ne parle pas à l'image. C'est une façon d'appuyer l'aspect introspectif de son monologue, comme s'il se parlait à lui-même, qu’il faisait le bilan. Le tournage du film a lieu en 2010. Smaïn a 37 ans.
Il commence par raconter l'histoire de son père, Ouvrier Spécialisé qui est venu en France avec un contrat de travail. Smaïn est né en France, dans une famille de 12 enfants. Comme beaucoup d'immigrés dans les années 50, ils vivaient dans un bidonville. On sent qu’il est douloureux pour Smaïn de parler de cette précarité, du destin de son père, travailleur exploité et abandonné par le système économique français.
La famille déménage dans une cité provisoire, rue Guttenberg, à Nanterre. C’est là que Smaïn naît, en 1973. Suite au plan d’urbanisme et de relogement de l’époque, des « cités nouvelles » voient le jour pour accueillir les familles en situation précaire. Celle de Smaïn emménage alors dans un logement social. « On quitte un taudis pour arriver dans un F6 avec salle de bain et baignoire ». C'est l'euphorie pour la famille.
L'histoire de sa famille est celle de très nombreuses familles d'immigrés. Son témoignage est comme une Histoire de l'immigration de la fin du 20ème siècle, tant son parcours, et celui de ses parents, est représentatif de ce qu’ont vécu des centaines de familles ayant quitté leur pays d’origine pour trouver un avenir meilleur en France.
C’est également une histoire de la banlieue qui se tisse à mesure que Smaïn fait le récit de sa vie. Il nous donne des clés pour comprendre l’enclavement des cités. C'est un témoignage « de l'intérieur », qui vient donner du sens et de l'affect aux images chocs véhiculées par les médias à cette époque, qui privilégient des images à « sensations fortes » en rapport avec la délinquance. Le témoignage de Smaïn nous donne une autre vision de la banlieue, qui n’échappe pas au commerce de la drogue, mais qui ancre les cités dans des enjeux économiques et sociaux dont les médias les décontextualisent trop souvent. Tout l’enjeu de ce documentaire est de redonner un contexte à l’évolution des banlieues.
« Y'a d'autres familles qui nous ressemble et qui sont relogées, c'est à peu près les mêmes profils, souvent des familles nombreuses avec beaucoup d'enfants ». Smaïn le rappelle souvent : son histoire n'est pas unique, elle n'est pas exceptionnelle. Son parcours est celui de beaucoup d’autres. Des familles issues de l’immigration qui vivent dans la précarité sont relogées dans les HLM des villes nouvelles. Pour Smaïn, c’est le temps des bons souvenirs – tout n’est pas sombre : « on rigole beaucoup et j’ai plein de copains ».
Mais les familles « françaises » - non issues de l’immigration – qui habitent l'immeuble font une pétition pour faire partir les familles d'immigrés. Choc des cultures, difficulté de s'ouvrir à l'autre, et surtout, clichés et préjugés : « ils estimaient qu'on faisait trop de bruit, trop de bordel, qu'on était sales ». Les classes moyennes désertent ces quartiers où sont regroupées les minorités sociales et les familles pauvres : « au final c'est eux qui se sont tirés. Et nous on est toujours là ».
C’est le début d'un communautarisme forcé : il y a de la part des classes moyennes non issues de l’immigration une méfiance et un refus du mélange culturel. Les familles d’immigrés, par la force des choses, se retrouvent « entre elles », isolées. Cela a pour conséquence de créer une enclave économique où la pauvreté se développe, du fait du manque de mélange entre les classes sociales.
« C'est la télévision qui m'a rendu français » raconte Smaïn. La télévision est une fenêtre sur la société française qui a une part non négligeable dans l'éducation des enfants de toutes classes sociales. Smaïn se sent français parce qu'il regarde la télévision française qui est commune à toutes les populations de France, et qu'il s'identifie à la langue et la culture française au même titre que n'importe quel citoyen qui regarde la télévision. « On parle, on pense Français » insiste-t-il. Tous les ans Smaïn va au Maroc pendant deux mois, mais a toujours le sentiment de retrouver son "chez-soi" quand il rentre en France. La France est son pays.
Pour lui, la question de savoir s’il était français ou non ne s’est jamais vraiment posée. Smaïn n’a jamais eu de trouble identitaire, ses origines ne l’ont jamais empêché de se sentir français. « La question que je me posais c'est savoir si on était riches ou pauvres ». Plus que la question de savoir s’il était français ou non, c'est la précarité et le fait de grandir dans un milieu défavorisé qui a défini sa vie. C’est la condition sociale qui définit le parcours d’un individu, et sa manière de penser : « c’est ça qui comptait ».
Très peu de Français non issus de l’immigration grandissent dans l’environnement de Smaïn. Les populations qui l’entourent sont en grande majorité des familles d’origine arabe. A l’école, la séparation entre les familles issues de l’immigration et les autres perdurent et reflètent la fracture sociale : « à l’école c’était les Arabes contre les Français ». Alors qu’il raconte son rapport conflictuel avec l’école, la réalisatrice montre par-dessus son récit des images d’enfants, en bas de la tour, qui font exploser des pétards. Aujourd'hui encore, comme à l'époque où Smaïn était enfant, ils ne semblent pas mélangés. Rien n’aurait changé dans ces cités ?
Smaïn raconte maintenant avoir perdu sa grande sœur et son grand frère. En fond sonore, on entend les pétards des enfants exploser, évoquant des coups de feu – le frère de Smaïn est mort dans un règlement de compte. Ces sons de pétards appuient la violence de son récit, une violence qui est toujours là, dans la cité, qui est la même que celle que Smaïn a connu.
Il explique que le contexte social et familial (décès de ses frères et sœurs) dans lequel il a grandi l'empêchait de se concentrer à l'école : « je pouvais pas travailler ». C'est le cas, encore aujourd'hui, pour beaucoup d'enfants qui ne grandissent pas dans un environnement favorable pour bien travailler à l’école. Les conditions de vie précaires ou la violence de certains quartiers sont des freins à leur épanouissement scolaire.
Fâché avec l’école, Smaïn se voit proposer des orientations professionnelles qui ne l’intéressent pas : taulier, chaudronnier, mécanicien...il finit, un peu au hasard, par suivre une formation d’électrotechnicien. Se surprenant lui-même, il réussit à avoir des bons résultats qui lui permettent d’accéder directement à un BEP. Mais il est trop tard : Smaïn est déjà tombé dans la délinquance.
« Je volais, je faisais des petits cambriolages. J'avais vrillé ». Cette vrille s'est faite « naturellement » ; Smaïn a fait comme les autres. Il a suivi le mouvement, a imité ce que les autres faisaient dans son environnement direct. Plus encore que l’éducation des parents, plus que celle à l’école, c’est l’environnement qui conditionne le destin d’un individu. « Pourtant il avait les mots justes » dit Smaïn en parlant de son père qui tentait de lui faire la leçon, de le raisonner, de le ramener sur le droit chemin. Mais rien n’y a changé : c’est l’environnement qui, le premier, éduque.
Smaïn n’a pas un caractère plus porté sur la délinquance que tout un chacun, mais il a grandi dans un milieu où elle lui semblait normale, naturelle, quotidienne. Trop occupé à faire le voyou, il rate son BEP et entre en CAP : c’est la fin de l'école pour lui. « Je l'ai entendu mille fois. Mais je comprends pas, "travaille c'est pour ton avenir" ça veut rien dire quand t'es petit. Ça marche pas avec moi. Ça marche avec très peu de personnes d'ailleurs. Dans tous mes copains y'a pas de diplômés. Je vois pas l'avenir, on a eu vachement de mal à se projeter dans l'avenir et se dire je deviendrai ça ou ça. On connaît que des taulards, des voyous et des chômeurs ».
Ce témoignage atteste que l'environnement définit notre imaginaire : Smaïn ne peut pas voir « l'avenir ». Ce mot ne signifie rien pour lui car dans son entourage il n'y a pas de diplômés, d'ingénieurs, ou de « Français » qui pensent à l’avenir, qui travaillent pour leur avenir. On est conditionné par le milieu dans lequel on grandit, et quand on vit dans une cité défavorisé, il n’y a que du présent, de la survie au quotidien. L’avenir est un luxe.
Le père de Smaïn a été licencié économique en 1984, « comme la plupart des autres pères du quartier ». Les immigrés qui ont été les premiers à subir la crise économique, qui touche les plus pauvres en premiers. La modernisation des équipements rattrape les ouvriers spécialisés, et le père de Smaïn est remplacé par une machine. C’est le début de l’ère des robots et du rendement.
La famille se retrouve sans ressources : la mère de Smaïn est mère au foyer – une activité à plein temps avec douze enfants – et ses grands frères sont toxicomanes ou délinquants - encore une fois, « comme tous les grands frères du quartier ». L’histoire de Smaïn reste celle d’une banlieue périphérique délaissée économiquement, où « personne ne travaille » ; une jeunesse qui se destine aux aller-retours en prison. « Je vais les visiter en prison de temps en temps. C'est pas un drame. C'est presque normal. Je suis pas le seul dans ce cas ». On assiste ici à une normalisation du parcours de la délinquance,
Smaïn parle de ses frères toxicomanes : ils sont décédés ou en prison. La drogue permet à toute une jeunesse délaissée de s’évader, d’oublier leur quotidien. Smaïn, lui, consomme de la marijuana, « comme tout le monde ». « Je crois que j'étais déprimé. J'avais besoin de m'échapper ».
La drogue devient le fléau des banlieues. « En France on considérait pas les toxicos comme des malades, y'avait pas de distribution de seringues ». Son frère est ainsi mort du sida. Pourquoi les jeunes se mettent-ils à la drogue, malgré le fait qu'ils voient leurs frères devenir séropositifs ? L'ennui, l'impression qu'il n'y a pas d'avenir, l’impression de mener une vie qui donne le choix entre la prison et l'overdose.
« Ce qui fait qu'on arrête d'être voleur, c'est qu'on devient dealer. Alors y'a plus de violence, la violence elle est entre nous, on devient concurrents ». Le trafic de drogue est paradoxal : il est dans l'illégalité et en même temps il reporte la violence sur les jeunes des cités entre eux, préservant les classes moyennes autour d'eux. Le trafic de drogue a pour conséquence indirecte de canaliser la violence : on ne peut plus être violent avec les gens, car les gens, c’est les clients.
« Je dormais, je rêvais de shit. J'avais déjà tout programmé dans ma tête ». La drogue devient une perspective pour Smaïn. Celle de gagner de l'argent, d'avoir un rôle dans sa cité, un « travail ». « Des fois je faisais 5000 francs de chiffre d'affaire par jour. Quand on a 17 ans, ça rend fou ». Cet argent facile permet à Smaïn d'acheter une console, des jeux, des baskets, des jeans. « Tout ce dont j'avais envie ». Il consomme les objets comme une drogue, comble le vide, accumule des choses dont il n’a pas besoin. « Mais ça m'a aussi permis de voyager » nuance-t-il. Le tournant dans sa vie se fait lorsqu’il va en prison. C’est un électrochoc, il décide de ne plus jamais y retourner et arrête le trafic de drogue.
On retrouve Smaïn sur l'esplanade de la Défense. Il est technicien micro-informatique hotliner. « C'est mon premier CDI. Je l'ai signé à 33 ans ». Il n'est pas convaincu que cette nouvelle vie lui plaise, mais il s'y fait. « C'était un peu le luxe de se lever à midi ». La vie « active », avec sa pause de 10 minutes (dont 5 passées dans l'ascenseur), ses horaires de bureau, est plus contraignante.
Ce qui plaît à Smaïn dans son travail c'est qu'il se sent utile : les gens le remercient, le félicitent. « J'ai l'impression de servir à quelque chose ». On comprend son désir de reconnaissance, son besoin d’être valorisé, emblématique de toute une jeunesse qui se sent laissée pour compte. Il raconte avoir fait du télémarketing : il devait donner un faux nom, qui sonnait plus « français ». Dans son travail actuel, il peut donner son véritable nom. C’est important, car ne pas pouvoir donner son nom, décliner son identité, cela donne le sentiment qu’il y a quelque chose de mauvais dans le nom qu’on porte, quelque chose qui fait que les gens vont avoir un à priori sur nous. Les préjugés ont la dent dure.
Après la traversée en scooter de la cité Picasso, où la caméra embarquée sur le scooter de Smaïn permettait d'éprouver le territoire dont le jeune homme fait le récit, une nouvelle scène en scooter nous fait traverser La Défense. Aux tours Picasso, rondes et colorées, se substituent les tours droites et monochromes. C'est un autre monde, à quelques minutes à pied à peine de la Cité Picasso. Ce nouveau trajet à scooter nous fait sentir à quel point ces deux mondes si différents sont en réalité très proches.
Smaïn a essayé d'arrêter de consommer de la marijuana, mais sans succès. C'est, encore et toujours, l'ennui qui l'a poussé à reprendre. « Je trouvais pas d'autres occupations ». L'ennui est l'ennemi numéro 1. Il est le premier signe du désœuvrement. L’ennui peut conduire au pire. Sorti de son travail, Smaïn s'ennuie et sa vie lui semble vide. « Y'a un mal-être ». Il tue le temps en fumant et en jouant aux jeux-vidéos. Des substituts de vie : paradis artificiels et avatar dans le jeu World of Warcraft. Deux solutions de secours pour s’évader, quitter les tours.
Les questions qui peuvent nous venir en voyant ces images sont complexes : est-ce qu'on peut considérer que Smaïn s'en est sorti ? Que sa vie est meilleure ? Que c'est un exemple de réussite républicaine ? Le film laisse à chacun le soin de répondre pour lui-même.
La réalisatrice l’emmène sur le terrain des relations amoureuses. Smaïn raconte sa relation avec une femme pieuse et salafiste. Pour lui le voile intégral est paradoxale : le but est de cacher la féminité mais c'est la meilleure façon de se faire remarquer parmi les autres. Les valeurs religieuses constituent un fossé trop important, la relation ne tient pas. « J'ai jamais vu ses cheveux. Elle voulait absolument que je porte une barbe, que j'arrête d'écouter de la musique, que j'arrête d'aller au café ».
Smaïn ne se reconnaît pas dans cette façon de vivre la religion. L’Islam qu’il pratique est beaucoup moins restrictif. « C'est presque deux religions différentes. L'Islam de mes parents c'est un Islam serein. Il dicte pas les règles ». L’Islam est souvent le sujet d’amalgames, mais il y a différents moyens de le pratiquer, de le concevoir, de le vivre. Toute religion peut connaître des extrêmes, produire de la peur, de la haine, de l’enfermement et un repli sur sa communauté. Tout dépend de la manière dont on l’envisage.
Malgré son travail de télémarketing et son insertion dans le tissu social, Smaïn souffre d’une grande solitude, et a toujours du mal à se projeter dans l’avenir : « aujourd'hui j'ai pas d'objectif. Donc j'ai pas de rêves ». Il voit l'avenir comme une notion générale, collective, s'appliquant à l'humanité entière. Penser l’avenir en terme individuel n’est pas quelque chose de naturel pour lui.
« Moi je suis du bon côté de la barrière, y'a quand même des gens qui meurent de faim. Heureusement ils se révoltent ». Alors qu'il prononce ces mots, des chars d’assauts s'avancent dans l'écran de sa télévision, comme pour contredire ses propos : que sont les révoltes face aux institutions militaires, aux chars, aux armées ? Quelle place pour l’individu, pour son avenir, face à ses grandes organisations étatiques et militaires ?
Une année a passé depuis le début du film : nous sommes à nouveau un 14 juillet. Les chasseurs et hélicoptères sont de retour dans le ciel. Cette fois Smaïn ne les contemple pas dans sa télé ou depuis sa fenêtre mais il est dehors, les yeux levés vers le ciel. Cela traduit, peut-être, une ouverture. De quel côté de la barrière se tient Smaïn par rapport à cette parade militaire impressionnante ? A-t-il réussi à s’inscrire dans cette célébration, à se sentir concerné ?
« Moi j'aimerais changer les choses, mais le souci c'est que je trouve aucun moyen d'expression ». C'est la dernière phrase du film, sa conclusion. Il y a à la fois de l'ironie et un manifeste : Smaïn a trouvé un moyen d'expression, à travers le film, même s’il ne s’en est pas rendu compte. Le film lui a donné une tribune, il a libéré sa parole. Et à travers lui, c’est le témoignage de toute une jeunesse des cités qui est en partage.
- Peut-on dire que le témoignage de Smaïn est un récit universel ?
- En quoi le parcours de Smaïn est-il représentatif de celui de nombreux jeunes vivant dans les cités ?
- Comment s’exprime Smaïn ? Qu’est-ce qui caractérise son discours ?
- Quels sont les différences et les points communs entre la cité Picasso où vit Smaïn et l’esplanade de la Défense où il travaille ?
- Pourquoi selon vous la réalisatrice embarque-t-elle la caméra sur le scooter de Smaïn ?
- Pourquoi Smaïn est-il tombé dans la délinquance ?
- Smaïn est-il indécis quant à son identité française ? Quelle est la question qu’il se posait lorsqu’il était petit ? En quoi cette question révèle l’importance de l’environnement dans lequel on grandit ?
- Quelle est la place de l’éducation des parents et de l’école dans le contexte social dans lequel Smaïn a grandi ?
- Quelle est la vision qu’a Smaïn de sa religion ?
- Peut-on considérer que le parcours de Smaïn est un exemple de « réussite républicaine » ?
- Selon vous, quel rapport entretient Smaïn avec la fête du 14 juillet ? Est-il concerné ?
- Le film est sorti en 2011, et Smaïn est né en 1973. La vie dans les banlieues a-t-elle évolué depuis 2011 ? Et depuis les années 1980 ? Qu’est-ce qui a changé ? Qu’est-ce qui est resté pareil ?
- Après l’obtention de son diplôme d'avocate, Anna Pitoun, réalisatrice du film, a décidé d'arrêter le droit et s'est mise à faire des documentaires pour travailler au changement des mentalités. C’est en proposant aux jeunes de sa cité de faire un film qu’elle a rencontré Smaïn, qui était son voisin.
- Le film a été tourné en 2010. Aujourd’hui, Smaïn travaille toujours dans une société informatique, il est devenu père de famille et n’a pas voulu quitter son quartier, Pablo-Picasso.
- Anna Pitoun a réalisé une quinzaine d’interviews, pour au final ne garder que celle de Smaïn.