Regarde-moi

Une journée qui commence comme les autres dans la banlieue parisienne. Jo, futur joueur en formation au football club d’Arsenal entame un footing, Yannick veut reconquérir sa belle Melissa et Mouss aimerait concrétiser sa relation avec Daphné.

Même journée qui démarre comme les autres pour Fatimata et Julie. Sauf que Fatimata est noire, que Julie est blanche, qu’elles aiment le même garçon et que les prochaines 24h les réuniront à jamais.

Public ciblé: 
À partir de 12 ans
Genre: 
Drame
Durée: 
93 minutes
Langue: 
Français
Date de sortie: 
2007
Réalisateur / Réalisatrice: 
Audrey Estrougo
Comédiens: 
Emilie de Preissac
Eye Haidara
Terry Nimajimbe
Salomé Stévenin
Paco Boublard
Jimmy Woha Woha
Lili Canobbio
Oumar Diaw
Steve Tran
Djena Tsimba
Marie Favasuli
Marie-Sohna Condé
Production: 
7ème Apache Films

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Contactez la société de distribution :

GAUMONT DISTRIBUTION

30, avenue Charles de Gaulle 92200 Neuilly-sur-Seine

http://www.gaumont.fr/fr/contact.html

 

Consultez le dossier de presse complet du film et la page internet officielle du film.

1. Multiplicité des points de vue,

2. Originalité de la mise en scène,

3. Spontanéité et intensité des acteurs.

Au-delà des clichés, « Regarde-moi » explore les rapports entre garçons et filles en banlieue, et donne comme origine de la colère ressentie par ses personnages la frustration de ne pas pouvoir exprimer ses sentiments dans un univers où les femmes subissent la vision dictée par les hommes.

Festivals :

Berlinale (sélection Panorama/2008), Berlin, Allemagne

Seattle Women film festival en Israël

Durban film festival en Afrique du Sud

RV Unifrance aux Etats Unis

Festival du Film Francophone de Bratislava en Slovaquie

Rendez-vous with French Cinema à New York

 

 

Prix :

Prix du meilleur scénario Ciné Talents 2005

Prix du meilleur scénario Sopadin 2006

Une cité de banlieue parisienne.

La première partie du film épouse le point de vue des garçons, qui traînent en bande dans leur quartier. Il y a Jo, qui va bientôt quitter la cité pour rejoindre le football club d’Arsenal, et qui est pris dans un chassé-croisé amoureux avec Julie. Il y a Yannick, qui tente désespérément de reconquérir Mélissa, son ex petite-copine, qui l’a quitté après avoir avorté, car les « gens parlaient sur eux ». Il y a Khalidou, le petit frère de Jo, qui est amoureux de la plus belle fille du quartier – malheureusement, c’est aussi la sœur de Yannick. Et il y a Mouss, qui s’entraîne devant son miroir à convaincre Daphné d’accepter de faire l’amour avec lui.

Fatimata, la sœur de Mouss, a décidé de se maquiller et d’afficher une perruque blonde platine, ce qui met son frère dans l’embarras : voir sa sœur ainsi habillée, c’est la honte devant ses copains de la cité.

Yannick vit de petits trafics et fait des affaires avec le caïd du quartier. Ce dernier est en couple avec la mère de Mélissa, ce qui est la raison d’une guerre entre elle et sa voisine : l’une est noire, l’autre est blanche, et elles aiment toutes les deux le même homme. La même situation s’applique avec Fatimata et Julie, toutes deux amoureuses de Jo...

Un soir, Yannick grimpe jusqu’à la fenêtre de Mélissa et lui déclare, sans détours, son amour – ce qu’il n’avait pas pu faire jusque-là, embarrassé par la présence de ses copains. Mais Mélissa le rejette à nouveau. Dans un accès de rage et de désespoir, Yannick casse la voiture de la mère de la jeune fille.

Mouss, lui, parvient à se faire inviter dans la chambre de Daphné, mais cette dernière a peur qu’on la considère comme une « pute », et Mouss ne parvient pas à ses fins. De son côté, Jo parvient à concrétiser sa relation avec Julie. Il l’invite à quitter la cité avec lui...

Le film repart alors en arrière pour nous faire revivre cette même journée du point de vue des filles. Fatimata décide de porter une perruque blonde et de se maquiller pour tenter de se faire remarquer par Jo. Elle subit les moqueries et les outrages à la fois des garçons et des filles. Julie, elle, vient de rater un entretien d’embauche, elle vit avec un père alcoolique et désœuvré qui ne s’occupe pas du tout d’elle.

La bande d’amies de Fatimata, délaissée par les garçons qui leur préfèrent des filles qui affichent ouvertement leur féminité, alors même que ces derniers l’interdisent à leurs sœurs, est remontée contre Julie et Daphné, qu’elles jugent être des « putes ». Les filles menacent Julie et Fatimata lui conseille d’arrêter de tourner autour de Jo.

Mais Fatimata perd sa perruque devant tout le monde et subit à nouveau les moqueries et l’humiliation. Elle se réfugie dans sa chambre, mais quand sa mère découvre son maquillage, elle la gifle. Seule et malheureuse, Fatimata est à bout.

Julie part retrouver Jo qui lui propose de partir avec lui. Fatimata décide de tenter le tout pour le tout et essaye d’embrasser Jo, mais il la repousse. Furieuse, elle réunit sa bande et les filles agressent violemment Julie. En état de choc, Julie rentre chez elle pour trouver son père assommé par l’alcool. Elle se rase la tête et se sépare de sa longue chevelure blonde.

Quelques mois plus tard, Julie et son père sont sur le départ : ils quittent la cité. Fatimata pose sa main contre la vitre de la voiture. A l’intérieur de la voiture, Julie fait de même. Les deux filles se reconnaissent alors comme semblables.

"Il s’agissait d’expliquer le malaise des filles et la violence qui en découle, sans pour autant la juger", Audrey Estrougo.

Audrey Estrougo passe son adolescence dans une cité de banlieue. Après un DEUG « Art du spectacle », elle parvient à convaincre les producteurs de 7ème Apache Films de la suivre sur son premier projet de long-métrage : « Regarde-moi » qui sort en 2007. Suivront trois autres films : « Toi, moi et les autres » (2011), « Une histoire banale » (2013) et « La taularde » avec Sophie Marceau sorti en 2016. Elle a mis en scène « Les quatre jumelles » de Copi en 2007 et écrit également pour la télévision : elle est l’auteur de la série « Héroïnes » diffusée sur Arte.

Jo voit Julie s’avancer vers l’immeuble où elle vit. Dans le regard du jeune homme, elle apparaît comme sublimée : image lumineuse, robe rouge voluptueuse, nous sommes dans la vision fantasmée qu’a le jeune homme de la jeune femme. Cette scène nous indique que toute cette première partie du film se situe du point de vue des garçons, et que nous allons être dans leur vision des femmes, leur point de vue sur la cité.

Jo est destiné à quitter son quartier pour rejoindre le football club d’Arsenal. Pour le reste des garçons du quartier, il n’y a qu’un quotidien figé, où même aller dans un bar apparaît comme quelque chose de saugrenu. Leur vie, c’est le foot, les filles, les ragots : ils représentent une jeunesse désœuvrée, prisonnière d’un territoire, qui passe son temps à observer si quelqu’un fait un pas de travers.

La cité apparaît alors comme un lieu extrêmement codifié dont il est difficile de transgresser les règles. Le monde des garçons nous fait découvrir leur code de conduite, leur langage fait de tchatche et de vannes avec une énergie débordante dans la parole. Nous découvrons aussi leur attitude envers les filles : ils interdisent à leurs sœurs toute manifestation de féminité alors même qu’ils attendent des autres filles qu’elles acceptent de coucher avec eux.

Le film montre comment le regard masculin conditionne les comportements féminins. La cité est mise en scène comme un lieu « panoptique », ce qui veut dire qu’elle est comme un microcosme, une bulle, où chaque action est soumise au regard et aux jugements de tous.

« Si le monde ne vient pas à la cité, c’est la cité qui viendra au monde », lance l’un des garçons. Cette phrase exprime l’isolement de ces quartiers qui semblent déconnectés du reste du monde, et qui fonctionnent selon leurs lois propres, comme un écosystème indépendant. Dans ce monde où les garçons traînent, errent, régi par des règles et des rapports de force figés, chaque faux pas peut s’avérer fatal, et la tension augmente progressivement dans le film, à mesure que les personnages entrent en conflit les uns avec les autres.

Le paraître, le poids du regard et la honte des apparences, constituent le quotidien de ces garçons. Yannick doit cacher son bouquet de fleurs lorsque sa bande d’amis débarque : il faut cacher ce que l’on ressent, toujours avoir l’air fier et fort, sous peine d’avoir l’air d’un « pédé » (comme on dit à Yannick pour avoir mis sa plus belle veste). Les filles qui « couchent » sont des « putes » dont il faut profiter, les petites sœurs n’ont elles pas le droit au désir.

Ces clichés misogynes prolifèrent toujours dans une dynamique de groupe. Quand les garçons sont seuls, ils laissent entrevoir leurs sentiments. Son bouquet caché dans son dos, Yannick est encerclé par les autres garçons, comme pris au piège par une meute – et cette image renvoie à celle du chien errant au début du film qui nous conduit d’une scène à une autre, d’un personnage à l’autre. Les personnages sont en errance, dans leur quartier, et dans leurs propres sentiments. Yannick lâche son bouquet de fleurs, et il s’en va, battu par le groupe devant lequel il n’a pas osé assumer son côté romantique.

La première scène du film exprime très bien cet enjeu du paraître, de l’importance de l’image qu’on renvoie : devant son miroir, Mouss s’entraîne à parler à Daphné. Cette scène évoque celle, très connue, de Robert de Niro dans « Taxi Driver » de Martin Scorsese. Ce que Travis, le personnage de « Taxi Driver », et Mouss ont en commun, c’est de travailler leur image, leur représentation. Ils sont comme des acteurs qui répètent un texte, fascinés par leur reflet, soucieux de l’image qu’ils renvoient. Ils travaillent en rôle qu’ils désirent jouer, endosser.

Petit à petit, Mouss s’emporte, s’attendant à une résistance, voire un rejet, de la fille imaginaire – comme s’il se voyait déjà perdant, ce qui en dit long de la véritable image qu’il a de lui-même ; une image dévalorisée. Il joue alors au dur, jusqu’à oublier qu’il se parle à lui-même : son reflet est comme un moyen de s’adresser à la fille qui n’est pas là, et de dire ce qu’il n’oserait pas dire devant ses copains.

Dans cette cité où tous les destins sont interconnectés, où chaque changement de look est commenté, où on serre les mains de tout le monde, où chaque relation est affichée comme dans une vitrine (qu’on le veuille ou non), les garçons ne peuvent pas se permettre d’être faibles, et il est très difficile d’avouer ses sentiments. Mouss n’arrivera pas à dire à Daphné qu’il l’aime : « je suis pas un loveur ». Yannick, lui, ose avouer ses sentiments à Mélissa. Il est garçon un peu à part, moins inclus dans la bande, comme un électron libre. Et justement, il est plus libre de pouvoir assumer ses sentiments parce qu’il est détaché du groupe. Pourtant, même lui subit la « loi de la cité » : son couple s’est brisé car les gens « parlaient sur eux », ce que Mélissa n’a pas supporté. Elle le rejette une nouvelle fois, et le jeune homme, furieux et désespéré, s’en prend à la voiture de la mère de la jeune femme. Ici un cliché est peut-être renversé : ce n’est pas parce qu’il est un délinquant que Yannick casse une voiture, mais parce qu’il est malheureux en amour...

Cette première partie consacrée aux garçons se termine sur Mouss, qui répète à nouveau son rôle de garçon entreprenant, en écho à la première scène. Cette fois, la caméra recule, et le spectateur se rend compte que Mouss se trouve en réalité dans la chambre de Daphné, face à elle. La façon dont il s’adresse à Daphné est identique à celle dont il s’adressait à son miroir : nous comprenons que Mouss répète un texte appris par cœur, qu’il est dans un rôle, une représentation. Daphné comprend son petit jeu et le désarçonne lorsqu’elle lui dit : « maintenant qu’on n’est plus avec tes potes tu peux me prendre dans tes bras ». Avec cette phrase, elle désamorce le petit jeu de Mouss, et ce moment souligne le fait que les garçons ne vont pas instinctivement vers la tendresse, bloqués par leur rôle de mâle dominant.

Cette scène est partagée entre une lumière verte et une lumière rouge qui évoquent un éclairage de club de strip-tease, ce qui souligne la crainte de Daphné d’être considérée comme une « pute » si elle couche avec Mouss. Ces deux couleurs verte et rouge appuient également l’idée que les personnages sont comme divisés en deux, partagés entre leur désir, et la peur des ragots.

Seul Jo, libéré des chaînes de ces représentations – parce qu’il est le seul destiné à quitter cité – parviendra à concrétiser sa relation avec Julie. Le film revient alors 24h en arrière et fait revivre au spectateur les mêmes actions sous un point de vue différent : celui des filles. Alors qu’elles étaient la plupart du temps reléguées dans le fond du cadre, dans la profondeur de champ et le flou, elles deviennent maintenant le centre du récit.

On découvre que les filles ont la même tchatche que les garçons, et qu’elles entretiennent un point de vue et un discours équivalent sur la féminité : « les filles qui couchent c’est des putes ». Une pensée fixe, figée, née de leurs diverses frustrations – elles n’ont pas le droit au désir. Yannick, blessé après avoir été rejeté par Mélissa, finissait lui aussi par la traiter de « pute », porté par sa frustration et sa colère.

Cette relation entre l’espace dans lequel les personnages évoluent et leurs sentiments intériorisés s'exprime par des cadres larges, avec de nombreux mouvements de caméra, qui viennent inscrire les personnages dans un environnement qui les enferme, tandis que cadrages plus rapprochés, très près des visages, viennent exprimer leurs sentiments refoulés.

La réalisatrice Audrey Estrougo a choisi de tourner son film au format « Scope », un format né avec les paysages des films de Western qui accentue la présence des décors, l’horizontalité de l’image. Ce format, spécifique au cinéma, permet d’éloigner « Regarde-moi » des codes de l’image de reportage. De la même manière, la caméra portée est peu utilisée dans le film, la mise en scène privilégie les mouvements de caméra fluide et les plans stables, et un travail sur les couleurs, à travers les lumières et les costumes, crée un sentiment « plastique », c’est-à-dire que cela rend la dimension esthétique, visuelle du film, particulièrement sensible.

« Regarde-moi » se construit comme un film « choral », c’est-à-dire qu’il y a plusieurs points de vue dans le film, et que le récit nous balade d’un personnage à l’autre. Les mouvements de caméra, l’errance des personnages dans leur quartier, et la répétition d’actions identiques sous des points de vue différents, rappellent le film « Elephant » réalisé par Gus Van Sant, où des adolescents tiraient sur leurs camarades en attaquant leur lycée. Comme Gus Van Sant, Audrey Estrougo joue avec la temporalité, et place ses personnages dans un contexte où la tension monte progressivement, jusqu’à l’explosion.

Le film est parcouru par le motif de la barrière : grilles, grillages, portails, viennent figurer la séparation entre filles et garçons. C’est particulièrement sensible lorsque Julie saute par-dessus un portail pour échapper à Jo, où lorsque Fatimata appuie son visage contre une grille pour observer avec amour le jeune homme jouer au football, comme en réponse à la scène de la vision fantasmée qu’avait Jo de Julie. C’est dans ces jeux de regard à distance que nous sentons le plus le point de vue, le désir, et tout ce qui sépare le personnage de son désir. La caméra fait un zoom vers Fatimata pour souligner que le monde s’efface progressivement autour d’elle, le son de son environnement se fait lointain, distant, alors qu’elle focalise son regard sur Jo. L’amour la transporte ailleurs, la sort de son environnement – d’autant plus que Jo représente la promesse de quitter la cité. C'est ce regard que Fatimata porte sur Jo qui donne au film son titre : "regarde-moi", à la fois un espoir et une supplication.

Mais les filles autour de Fatimata l’encerclent comme une meute, de la même manière que Yannick était entouré par la bande de garçons au début du film. Le passage avec un « carton » de film muet exprime à quel point Fatimata, comme transportée par son désir, est loin des problématiques de son quartier au moment où elle regarde Jo jouer au football : elle n’est plus « dans le même film » que ses copines. Mais elle est ramenée, brutalement, dans le monde de la cité, par les reproches des filles de sa bande.

A mesure que le film se déroule, l'histoire se resserre sur Julie et Fatimata. Le film fonctionne comme un « entonnoir » et la relation entre les deux filles devient l’enjeu majeur de la résolution du récit. Toutes les règles mises en place par le film dans la première partie se cristallisent dans la rivalité naissante entre ces deux personnages. La première partie a donc un rôle « informatif », elle nous renseigne sur la vie en banlieue et les codes qui la régissent. C’est grâce au récit du regard que les garçons portent sur les filles que nous pouvons comprendre la violence des rapports entre Fatimata et Julie.

Fatimata, amoureuse de Jo, sait que l’homme de ses rêves est attiré par Julie. Pour se rapprocher de sa rivale, devenir comme elle, Fatimata enfile une perruque blonde. Elle est en pleine quête identitaire et cherche à se faire remarquer par Jo, en faisant « comme les blanches » qui dans le film sont plus libres d’afficher leur féminité – ce sont par exemple les personnages de Daphné et de la sœur de Yannick. Cette construction identitaire est relayée par les couleurs de la chambre dans laquelle Fatimata se maquille, se « déguise » : des teintes chaudes qui tendent vers le jaune, et qui renvoient à la blondeur de la perruque. La chambre est un espace rêvé, fantasmé : le papier-peint affiche une plage bordée de cocotiers. Dans cette chambre, en se maquillant, Fatimata se fantasme en Julie. Mais lorsqu’elle sort de chez elle, elle est associée aux murs roses de son immeuble par son vêtement rose : la cité est un lieu aliénant, dont elle ne peut pas s’échapper.

L’appartement gris et terne du père de Julie contraste avec celui, chaleureux, de la mère de Fatimata. L’une n’a pas de père, l’autre n’a pas de mère, les couleurs des lieux où elles vivent entrent en opposition mais expriment toutes deux un enfermement : Fatimata et Julie sont à la fois semblables et opposées. C’est de cette friction entre semblance et dissemblance que naît leur rivalité. Lorsque, étendues sur leurs lits, elles sont chacune filmées en « plongée », c’est-à-dire que la caméra adopte un point de vue supérieur qui vient les filmer comme « d’en haut », on comprend qu’elles sont liées par un même destin écrasant.

La rivalité entre la mère de Mélissa et sa voisine, amoureuses du même homme, reflète celle de Fatimata et Julie. Chez les adultes comme chez les deux adolescentes, l’une est noire, l’autre blanche et blonde. La dispute entre les deux femmes ouvre le film en « voix off » (on entend la voix mais on ne voit pas les images), et revient pour lancer la deuxième partie du film. Elle est donc un point pivot du récit. Cette dispute qui dure depuis vingt ans et qui n’a pas de fin est ce qui guette Fatimata et Julie : une guerre inlassable, une rivalité interminable, jamais résolue.

Lorsque Fatimata perd sa perruque devant tout le monde, les jeunes se moquent de ses cheveux. Mais plus que ça, Fatimata est humiliée car on la renvoie à son identité première : elle n’est pas Julie, elle n’est pas blonde. Elle est une jeune fille mal dans sa peau, en quête de reconnaissance. A ce moment du film, elle est comme démasquée.

Suite à cette scène, sa mère écrase les tubes de maquillage et la gifle, comme si elle Fatimata trahi son identité, bafoué ses origines. La perruque et le maquillage contrastent en effet avec la tenue africaine de sa mère, qui lave son très jeune fils dans une bassine au moment où Fatimata rentre à la maison. Fatimata est perdue entre une identité fantasmée et son foyer qui la renvoie à ses origines. Cette violence de l’humiliation, de la gifle qui la renie, et du jugement des garçons, achève de faire de Fatimata une petite bombe à retardement.

Dans sa chambre, une affiche collée à sa porte représente des chiens. Cette affiche fait écho visuellement au chien qui errait dans la cité et faisait le lien entre les personnages au début du film. Cette analogie entre Fatimata et la figure du chien dit quelque chose de fondamental sur le personnage : Fatimata et ses amies sont comme des chiens errants, elles sont inconsidérées, abandonnées par le regard des garçons et tyrannisées par leurs grands-frères. Elles ne trouvent pas leur place et doivent se comporter comme des garçons pour être épargnées par les ragots et les humiliations. Elles doivent rentrer leur colère et ne peuvent pas exprimer leurs frustrations.

Cette colère intériorisée finit par éclater lors de la scène où les filles expriment leur haine face à la caméra. C’est à ce moment que le film bascule vers la violence. La scène est filmée en « plan-séquence », c’est-à-dire qu’il n’y a qu’un seul cadrage, sans montage, ce qui permet de rendre compte de l’énergie déployée par les filles à l’intérieur du cadre, de leur colère qui grossit et qui s’extériorise. Petit à petit, l’image passe en noir et blanc, comme pour montrer que nous assistons à un point de « non-retour », que quelque chose vient de se briser. Cette perte des couleurs à l’image exprime un désenchantement, et le noir et blanc vient souligner que les filles ont dorénavant un point de vue binaire sur le monde : les noirs contre les blancs. Jusqu’ici, le film se déroulait principalement en extérieur, mais à partir de cette scène, les décors intérieurs seront privilégiés, ce qui traduit un renfermement des personnages sur eux-mêmes.

C’est au tour de Julie d’être encerclée par la meute de la bande des filles, elle devient leur bouc-émissaire et elles projettent sur la jeune fille blonde toute leur colère et leurs frustrations. Cette colère continue de s’extérioriser lorsqu’elles jouent au football, comme les garçons qu’elles observaient plus tôt à travers la grille : elles font mine de se rouer de coups de pieds, et cette scène annonce déjà l’agression finale de Julie qui elle sera rouée de coups de pieds pour de vrai.

Lors de son agression, le bâton avec lequel Fatimata s’en prend à Julie est celui que les jeunes du quartier ont l’habitude d’envoyer au chien errant. Fatimata, associée à la figure du chien, « passe le relais » de la violence, elle rend à Julie la souffrance qu’elle ressent elle-même. Le cadre s’avance progressivement vers le visage de Fatimata pour l’isoler, pour cristalliser la scène sur sa douleur. Fatimata exerce sa violence sur Julie parce qu’elle est elle-même une victime. L’agression n’est pas montrée directement, elle est reléguée au « hors-champ », c’est-à-dire en-dehors des limites du cadre. La scène se finit sur un flou, comme pour exprimer la confusion des personnages, pris dans un cycle de violence qui les dépasse.

A la solitude de Fatimata répond celle de Julie. Elle rentre chez elle, vacillante, et s’accroche à son père qui est profondément endormi, anesthésié par l'alcool. Une figure parentale absente, et sa présence dans le cadre renforce d’autant plus la solitude de Julie qui enlace un père incapable de répondre à cette étreinte. Vaincue par la le cycle de la violence, Julie se rase le crâne, comme pour marquer l’abandon de cette féminité si difficile à assumer dans sa cité. La caméra effectue un mouvement « arrière », comme en réponse au mouvement de caméra « avant » lors de la scène de l’agression : un mouvement qui en entraîne un autre.

Julie finit par quitter la cité avec son père. L’agression leur a (peut-être) permis de se retrouver, de renouer un lien. Ses cheveux ont repoussé, comme si elle ré-apprivoisait sa féminité après s’être rasée la tête. Partir de la cité paraît alors être la seule solution pour sortir du cycle de la violence.

La fin du film montre Fatimata et Julie qui posent leurs mains contre la vitre de la voiture. L’une part, l’autre reste et devra continuer à affronter la loi de la cité. Elles se reconnaissent alors comme semblables. Les cheveux représentaient dans le film leur rivalité : dans cette dernière scène, elles ont la même coupe. Avec ce geste, cette main posée contre la vitre, elles parviennent à mettre fin au cycle de la haine, contrairement à la mère de Mélissa et sa voisine qui sont en guerre depuis vingt ans. Le film se termine sur une réconciliation.

- Pourquoi peut-on dire que le film est construit en deux parties ?

- Pourquoi Fatimata décide-t-elle de porter une perruque blonde ?

- Pourquoi peut-on dire que le film va « du général au particulier » ?

- Quelle vision des femmes ont les personnages masculins dans le film ?

- Quels sont les codes qui régissent la vie des personnages ? Pourquoi peut-on dire qu’ils vivent dans le « paraître » ?

- Quels sont les différents éléments qui conduisent Fatimata à agresser Julie avec sa bande ?

- Pourquoi Julie décide-t-elle de se raser la tête ?

- Faut-il sortir de la cité pour « s’en sortir » ?

- Le film se termine-t-il par une réconciliation ? Pourquoi ?

- La réalisatrice Audrey Estrougo est âgée de seulement 22 ans lorsqu’elle tourne « Regarde-moi ».

- Le film est inspiré du vécu de la réalisatrice qui a déménagé en banlieue lorsqu’elle était adolescente.

- Pour convaincre les producteurs, Audrey Estrougo a d’abord tourné un court-métrage en autoproduction tiré d’une scène du scénario de « Regarde-moi ».

- Audrey Estrougo a casté environ 300 jeunes pour sélectionner les vingt acteurs qui sont dans le film.

- La réalisatrice s’est inspirée du cinéma asiatique pour créer l’éclairage du film.

- Un coach d’acteur a été engagé pour les répétitions car les comédiens étaient pour la plupart non professionnels. Audrey Estrougo a observé attentivement leur travail en amont du tournage pour connaître par cœur le potentiel de ses acteurs et leurs diverses personnalités.