Caroline est jeune, impulsive. Colette, plus âgée, est compatissante et bordélique. Face à elles, des familles venues du Sri Lanka, de Mongolie, d’Érythrée et d’ailleurs, pour demander l’asile en France. Chaque jour il en arrive de nouvelles, avec ou sans passeport, avec ou sans bagage, dans des charters ou des camions bâchés… Comment répondre à ce flot débordant de détresses et de besoins ? Le film raconte ce face à face tendu et explosif, émouvant et drôle, où chacun défend son rôle.
Retrouvez les offres Vidéo à la demande pour le film « Les arrivants » sur le site de référencement VOD du CNC en cliquant ici.
Consultez les pages officielles du film en cliquant ici et là.
Téléchargez le dossier de presse complet du film en cliquant ici.
Contactez la société de distribution :
Amélie Ruhlmann, Happiness Distribution,
tel : 06 09 77 95 75,
fax : 01 44 76 07 93,
1. Bouleversant,
2. Non manichéen,
3. Immersif.
Les documentaristes Claudine Bories et Patrice Chagnard ont suivi des demandeurs d’asile dans le dédale des démarches administratives pendant quatre mois en 2008. Immergé dans un centre d’accueil du 20ème arrondissement de Paris, leur film témoigne des parcours dramatiques des migrants qui ont fui les persécutions de leurs pays et de la difficulté pour les assistantes sociales de les prendre en charge avec le peu de moyens à leur disposition. Sans jugement ni militantisme, « Les arrivants » met en avant les êtres humains qui se cachent derrière ces figures de demandeurs et d’accueillants.
Distinctions :
Colombe d'Or, Prix OEcuménique et Prix Verdi au Festival international du documentaire et film d'animation de Leipzig (2009)
Grand Prix Meilleur Film au Festival International Watch Docs de Varsovie.
Festivals :
Festival des Films du Monde de Montréal 2009,
Festival du Film Francophone de Vienne 2010,
Festival International du Film Francophone de Namur 2009,
Mostra International de Cinema de Sao Paulo 2009
La Cafda (Coordination de l’Accueil des Familles de Demandeurs d’Asile) est un organisme qui a été créé en 2000 pour nourrir et loger les exilés qui ont rejoint la France pour fuir les persécutions et tyrannies de leurs pays. Les travailleurs sociaux du centre sont chargés de faciliter les démarches administratives de ces demandeurs d’asile dans l’attente d’un éventuel statut de réfugié.
Parmi eux, Colette, assistante sociale aguerrie, maternante mais désordonnée, et Caroline, jeune recrue de vingt-trois ans idéaliste mais dépassée par l’ampleur de la tâche. Leur rôle est de trouver une chambre d’hôtel aux familles le jour même de leur arrivée en France et de les accompagner dans la constitution de leurs dossiers pour l’Ofpra (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides) qui décidera si la demande d’asile est accordée.
Juliette, juriste spécialisée dans le droit d’asile, doit aider les demandeurs d’asile à constituer un dossier convaincant pour l’Ofpra. Elle rédige leurs récits en Français en essayant de tirer des migrants le plus de détails possible. Elle est confrontée en permanence à la question de la vérité et du mensonge.
Persécutée au Sri Lanka pour être assimilée à un parti politique pacifiste, la famille Kaneshamoorty a quitté son pays d’origine pour gagner la France. Zahra, en tant qu’Érythréenne de vingt ans, a fui l’Éthiopie où sa vie était en danger. Enceinte, elle a connu les camps de rétention de Malte aux conditions de vie inhumaines et est parvenue à rejoindre la France après un périple en canot où elle a vu des migrants mourir sous ses yeux.
Les Wong sont un couple de Mongols encore terrorisés par le danger qui pesait sur eux : la femme, journaliste, a dénoncé la corruption d’un haut fonctionnaire. La famille de Mulugheta était persécutée en Éthiopie en raison de leur religion : ils sont pentecôtistes. Leur condition de vie en France en tant que demandeurs d’asile met en péril la vie de leur nouveau-né.
« Les arrivants » s’étale sur plusieurs mois, pendant lesquels nous suivons ces familles dans leurs tentatives d’obtenir le statut de réfugié, en parallèle du quotidien de Colette et Caroline dans les bureaux de la Cafda.
« Un film existe parce que quelqu’un était là qui a vu et entendu quelque chose que lui seul pouvait voir et entendre », Patrice Chagnard et Claudine Bories.
Patrice Chagnard réalise son premier court-métrage à 19 ans. Après ses études de philosophie, il entame un voyage de quatre ans en Orient et en Asie. De retour en France, il se lance dans la réalisation de films documentaires pour la télévision. Il fait des images aux quatre coins du monde. En 1995 sort son premier film pour le cinéma : « Le Convoi », l'odyssée de trois hommes qui acheminent de la nourriture vers l'Arménie pour l'association humanitaire. Il collabore avec Claudine Bories depuis 1995.
Claudine Bories est née dans une famille ouvrière. Elle quitte le lycée à 16 ans pour se lancer dans le théâtre. Elle joue et monte des pièces jusqu’en 1975 où elle se tourne vers le cinéma. Elle réalise son premier film pour le grand écran en 1980 : « Juliette du côté des hommes » qui est sélectionné au Festival de Cannes l’année suivante. Elle dirige entre 1983 et 2002 l’association Périphérie, en Seine Saint Denis, où naîtront les Rencontres du Cinéma Documentaire.
Le film débute sur le transport d’une statue représentant un éléphant sacré. Les « arrivants » qui se réfugient en France apportent avec eux leurs cultures, leurs dieux. Comme s’ils amenaient un petit morceau de leur monde dans leur pays d’accueil. « Ailleurs » se confronte alors avec « ici ». Ce qu’ont voulu filmer la réalisatrice Claudine Bories et le réalisateur Patrice Chagnard, c’est aussi la confrontation avec cet « ailleurs ». Ils interrogent ainsi notre rapport avec l’autre, « l’étranger ».
Dans cette première scène, la musique nous plonge dans une ambiance proche du thriller, avec des accents tribaux. La musique annonce ainsi trois choses :
- Le film sera construit sur un processus de suspense (dimension « thriller » de la musique),
- Le film interrogera notre rapport aux « étrangers » (dimension tribale de la musique qui renvoie à une forme d’exotisme),
- Le film empruntera les codes de la fiction pour nous immerger dans le réel.
En refusant de faire parler des intervenants face caméra, en dénuant leur film de tout commentaire, explications ou voix off, les réalisateurs laissent le déroulement du film à l’appréciation du spectateur. Ils ne le prennent pas par la main pour lui dire quoi penser et évite ainsi tout manichéisme. Face aux images, le spectateur se retrouve donc libre. Parfois démuni. Bories et Chagnard appellent cela du « cinéma direct », ce qui consiste à placer le spectateur au plus près de l’action, sans créer de distance confortable par le biais d’interviews ou commentaires.
Le spectateur prend alors la même place que les réalisateurs. Il entre dans l’intimité des personnes filmées. Il est avec les familles, dans le bureau exigu, à devoir lui-même jauger la situation et inventer les leçons à en tirer. Patrice Chagnard, qui cadre le film, n’essaye jamais de se faire oublier des gens qu’il filme ; au contraire, il fait, avec sa caméra, partie des interactions. Même s’il ne parle jamais, les personnes filmées savent qu’il est là, tout près d’elles. Il ne veut pas se rendre « invisible » pour que tout se passe comme s’il n’était pas là, il veut créer une relation avec les gens qu’il filme. C’est cette relation qui permet une telle proximité.
En tant que spectateurs, lorsque nous voyons ces images, nous avons donc l’impression d’être très proches des personnes filmées, comme si nous étions dans la pièce avec eux. Le spectateur voit ce que Bories et Chagnard ont vu, il se tient là où ils se sont tenus.
Les personnes qu’il regarde deviennent des « personnages », c’est-à-dire qu’ils intègrent un récit que nous suivons avec empathie : nous nous identifions aux malheurs de ces personnages et désirons savoir la « suite de l’histoire ». Le montage construit leurs vies comme un « scénario » où il est question de survie : trouver à manger, trouver où dormir, fuir la police, fuir les représailles...en construisant leur film comme une fiction, les réalisateurs nous investissent totalement dans le destin de leurs personnages, et nous ressentons d’autant mieux leurs drames, et l’urgence dans laquelle ils vivent.
La procédure de la Cafda (Coordination de l’Accueil des Familles de Demandeurs d’Asile) devient la structure du récit, chaque étape administrative devient un nouveau chapitre de l’histoire. Le film nous fait suivre le fil de la procédure et des aléas administratifs (qui font comme des péripéties) et nous fait nous poser la question : vont-ils réussir à obtenir leur statut de réfugié ? Cela a pour conséquence de créer du suspense et de la tension. Par ces moyens de fabrication d’un film, les personnages nous apparaissent, paradoxalement, plus proches, plus réels, tangibles. Ils deviennent pour nous des personnes, en étant travaillés par les réalisateurs comme des personnages.
Les réalisateurs sont restés en immersion à la Cafda avec leur caméra pendant plusieurs mois (de mai à octobre 2008). C’est un espace chaotique : le hall est bruyant, toutes les langues du monde s’y confondent en un brouhaha tonitruant. Une pièce de 80 mètres carrés où échouent des familles victimes de persécutions à travers le monde. Un lieu qui est une concentration de toutes les guerres, qui réunit tout le chaos du monde, dont les familles demandeuses d’asile deviennent l’écho sensible parvenu jusqu’à nous. On y rencontre des Tchétchènes, des Tamouls, des Érythréens, des Soudanais, des Roumains, des Mongols, des Afghans…
Ces familles qui viennent tout juste d’arriver en France sont plongées dans le chaos administratif de la demande d'asile – au moment où elles posent le pied dans le pays, elles sont immédiatement conduites à la CAFDA. « Les arrivants », en s’immergeant dans ce lieu, nous donne un aperçu de la procédure qui régule le parcours de ces migrants qu’il ne faut pas confondre avec des sans-papiers – les demandeurs d’asile ne sont pas dans l’illégalité, mais dans l’attente de la réponse pour l’obtention ou non du précieux statut de réfugié.
Le film nous fait découvrir la complexité des règlements européens et des conventions mises en place dans l'espace Shengen. Lorsqu’il quitte son pays, un exilé ne peut obtenir l’asile que dans le premier pays membre de l’espace Shengen qu’il traverse et où il laisse ses empreintes. Cela crée des difficultés lorsqu’une assistante sociale tente d’expliquer à un couple ne parlant pas le Français que leurs empreintes ont été enregistrées dans un autre pays membre de l’espace Shengen, et que la France ne peut donc pas leur accorder l’asile.
La salle d’accueil de la Cafda est divisée en deux parties séparées par la frontière, symbolique, du comptoir. D’un côté, les « arrivants » qui attendent leur rendez-vous, de l’autre, les « accueillants » qui tentent de démêler les histoires de ces hommes et femmes qui ont tout abandonné pour venir en France. Pour les arrivants, cette attente est parfois harassante, tant le parcours administratif peut s’avérer devenir une épreuve, dont ils ne comprennent pas toujours les enjeux. A bout de nerfs et de patience, une femme perd son sang-froid, en larmes. De l’autre côté de la maigre frontière du comptoir, les travailleurs sociaux luttent pour aider ces familles démunies. Ils ont la détresse du monde à leurs pieds, et des moyens trop maigres pour y répondre.
Ces travailleurs sociaux réagissent, face à la détresse des demandeurs d’asile, chacun en fonction de sa personnalité, avec son tempérament, et ses limites. Le film se concentre sur trois figures : Colette, l’assistante sociale aguerrie, désordonnée et maternante, Caroline, la jeune recrue à fleur de peau, et Juliette, la juriste zen. Leurs façons de s’adresser aux migrants sont très différentes, et oscillent entre la compréhension, l’empathie, la tendresse et, lorsqu’elles sont harassées et que la pression devient trop grande, l’hostilité, l’agacement, la méfiance.
Au départ, le comportement de Caroline semble choquant, agressif, comme si elle ne se rendait pas compte de la situation des personnes en face d’elle. « J’ai été méchante, tu crois ? » demande-t-elle naïvement à un collègue traducteur qui a remis en cause sa façon de s’adresser à Zahra, la jeune Érythréenne enceinte. Petit à petit, le spectateur réalise que Caroline est tout simplement dépassée par l’ampleur de la tâche. Elle évoque une petite fille avec un cartable trop lourd, particulièrement dans la scène où sa cheffe de service lui explique pourquoi il ne sert à rien de s’énerver. « Ne te fâche pas après eux parce que t’a pas les moyens » lui dit-elle.
La révolte de Caroline, sa sécheresse avec les « arrivants », traduit son indignation face à sa propre impuissance. Lorsqu'elle craque au téléphone, elle prend les critiques qu’on lui adresse personnellement. Elle a besoin d'entendre que ce n'est pas sa faute. Quand les réalisateurs la filme seule, en train de fumer une cigarette, ils parviennent à capter, sans qu’un mot ne soit prononcé, toutes les contradictions qui s’agitent à l’intérieur d’elle, et sa colère face à l’injustice dont elle est témoin au quotidien, qui s’exprime dans sa relation avec les exilés.
En miroir de Caroline, Juliette, la juriste, est une force tranquille. Elle doit retranscrire leur histoire, en Français, le plus fidèlement possible, avec tous les détails qu’elle peut obtenir. On sent chez elle une grande patience, ce qui l’oppose à Caroline. Ce récit qu’elle écrit est déterminant car c’est lui qui fera pencher la balance lorsque l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (Ofpra) rendra son verdict pour accorder ou non le statut de réfugié.
Colette, elle, lutte au quotidien pour ces familles qui se tiennent devant son bureau. Bourrue, mais déterminée, elle peut être sévère comme attentive, maternelle ou détachée. Dans la dernière scène du film, une famille est parvenue à obtenir le statut de réfugiés, et l’homme confesse que Colette est « comme sa mère ».
La majorité du film se déroule dans les bureaux de ces assistantes sociales. Il prend la forme d’un « huis-clos », l’action se déroule dans une pièce unique où nous sommes « enfermés » avec les personnages. Le bureau trace une frontière qui relaie celle du comptoir du hall et donne l’impression d’un véritable face à face, avec ses tensions, ses rapports de force et ses drames.
Débordées, Colette et Caroline doivent jongler entre les langues et les dépenses budgétaires. La frontière du rôle strictement professionnel est parfois franchie, comme lorsque Colette arpente les couloirs pour tenter de trouver, malgré les restrictions d’argent, des tickets de métro et des coupons repas pour la famille éthiopienne. La mère, dangereusement sous-alimentée, ne donne plus le lait suffisant pour son bébé, ce qui le met en danger de mort…
L’urgence est partout dans le film, car il s’agit souvent d’une question de vie ou de mort pour ces familles. C'est cette urgence que Caroline n’arrive plus à supporter. Le film montre les limites de l'action sociale, et l'absurdité administrative : comment aller chercher un repas au Nord de Paris quand on est logé à Vitry sans avoir de quoi se payer un ticket de métro ?
Colette et Caroline doivent composer avec des règles qu’elles désapprouvent parfois et qui les questionnent sur leurs propres valeurs morales. Elles doivent trier, rejeter des dossiers, appliquer la procédure, ce qui les oblige parfois à nier la souffrance des êtres qui leur font face. Leur humanité se confronte à celle des demandeurs d’asile – elles sont déchirées entre les valeurs en lesquelles elles croient et les règles de la Cafda qu’il faut appliquer, car l’argent, la nourriture, les chambres d’hôtel, sont limités.
Les réalisateurs eux ne choisissent pas de camp , ils filment de part et d’autre du bureau, se plaçant tout aussi bien d’un côté ou de l’autre de cette « frontière ». En montrant tout aussi bien les souffrances et l’impuissance des familles exilées que celles des assistances sociales , ils invitent le spectateur à s’identifier à Colette et Caroline, et à se poser la question : « qu’aurais-je fait à leur place ? Comment est-ce que je réagirais ? » Dans ce film, tous sont des victimes d’un monde qui va mal, les assistantes sociales tout comme les arrivants.
Leurs histoires, aux arrivants, sont tragiques. Souvent simplement armés de leur courage et de leur détermination, ils abandonnent tout derrière eux et traversent des épreuves parfois impensables pour rejoindre un pays où demander asile. La plupart du temps, les passeurs leur ont confisqué leurs papiers d’identité : ils sont comme nus, dénués de preuves de qui ils sont, et d’où ils viennent. Tout l’argent qu’ils avaient leur a permis de payer le périple jusqu’à la France. Ils se retrouvent alors sans rien.
Ils fuient des pays qui sont soumis à des régimes autoritaires, où les libertés sont réduites et les tentatives de rébellion sont matées. Des pays où les persécutions font partie du quotidien national. Les demandeurs d’asile sont une fenêtre sur la violence du monde. Ces dictatures, persécutions et injustices, semblent parfois d'un autre temps, appartenir à une époque révolue. Mais elles subsistent au 21ème siècle.
En quittant leur pays, les arrivants espèrent trouver une liberté nouvelle. Certains n’ont aucune idée des pays par lesquels on les a fait passer ; parfois, ils ne savent même pas qu’ils se tiennent sur le sol français. Ils découvrent alors, souvent avec une amère désillusion, ou avec une incompréhension totale, qu’ils ne seront pas accueillis à bras ouverts comme ils l’imaginaient, et qu’il leur faudra passer par le labyrinthe de l’administration, loin de l’image qu’ils se faisaient d’une terre d’accueil.
Les demandeurs d’asile ne sont pas des clandestins, ils ont le droit d’être sur le sol français tant que l’Ofpra n’a pas statué sur leur sort. Ils incarnent donc des tensions complexes dans le rapport à l’autre, à « l’étranger », se situant dans un no man’s land administratif où pendant les six mois que prend la procédure avant le verdict de l’Ofpra, ils ne sont ni les bienvenues, ni directement menacés d’expulsion.
La très grande majorité d’entre eux ne parle pas un mot de Français. La question du langage dans le rapport à l’autre devient par défaut une thématique au cœur du film : peut-on se comprendre si on ne parle pas la même langue ? Peut-on s’identifier à quelqu’un avec qui on ne peut pas dialoguer ? Est-ce que la barrière de la langue empêche définitivement la communication avec l’autre ? Cette grande difficulté de communication entre les assistantes sociales et les arrivants interroge les limites du rapport à l’autre. La barrière de la langue ralentit le processus et crée des malentendus. Assistantes et arrivants doivent se deviner, reconstituer un puzzle dont le langage inconnu a éparpillé les pièces.
Les interprètes sont donc un élément essentiel dans la constitution des dossiers et de l’avancée de la procédure. Sans eux, il ne reste qu’un jeu de mime à l’issue hasardeuse, auquel Caroline doit parfois se livrer avec plus ou moins de succès face à des demandeurs d’asile circonspects. Mais si l’interprète est le garant d’un affaissement de la barrière de la langue – grâce à lui, accueillants et arrivants peuvent se parler, il est aussi un « tiers » qui vient mettre une distance entre les deux parties. En se faisant le relais de la parole, en traduisant, en interprétant, il empêche (malgré lui, et parce qu’il n’y a pas d’autre choix) une relation directe, immédiate, entre les assistantes sociales et les familles exilées. Leur dialogue est littéralement soumis à son interprétation.
« On a mesuré que des gens mourraient de faim » ont dit les réalisateurs du film. Ce documentaire montre des familles qui sont dans la survie. Le film renvoie, malgré lui peut-être, à repenser le rapport entre ceux qui n’ont rien, et ceux qui jouissent de trop de choses. Le quotidien extrêmement précaire des familles demandeuses d’asile soulève la question, éternelle, de l’injustice économique d’un pays. Un pays à l’intérieur duquel des milliardaires dorment sur des yachts immenses, tandis que de l’autre côté du spectre, des nourrissons affamés sont en danger de mort.
Le film nous donne à voir le quotidien de quatre familles demandeuses d’asile. Il y a les Kaneshamoorty qui ont fui le Sri Lanka car le père était menacé de mort par la police pour être assimilé à un parti politique pacifiste. Il y a Zahra, jeune Érythréenne de vingt ans, qui a fui l’Éthiopie alors qu’elle était enceinte. Elle a connu les camps de rétention de Malte aux conditions de vie inhumaines et est parvenue à rejoindre la France après un périple en canot où elle a vu des migrants mourir sous ses yeux.
Les Wong sont un couple de Mongols encore terrorisés par le danger qui pesait sur eux : la femme, journaliste, a dénoncé la corruption d’un haut fonctionnaire. Ils sont tellement effrayés par de possibles représailles sur le territoire français qu’ils n’osent même pas dire s’ils sont mongols ou chinois. La famille de Mulugheta était persécutée en Éthiopie en raison de leur religion : ils sont pentecôtistes.
Tous tentent de s’expliquer, de raconter leur histoire, et surtout, de comprendre. Mulugheta s’énerve : il se sent traité comme un criminel. Selon la Convention de Genève, lorsque vous êtes demandeur d’asile, vous devez être protégé et ne devez normalement pas être expulsé le temps du traitement de votre dossier. Pourtant, Colette lui dit d’éviter la police. Mulugheta semble perdu, au bout du rouleau.
Peu à peu, nous en apprenons davantage sur chacun d’eux. La formulation de leur récit est décisive car c’est sur cette base que l’Ofpra décidera de leur accorder ou non le statut de réfugié. Il faut prouver les persécutions, émouvoir et convaincre. Certaines histoires sont plus « vendeuses » que d’autres, et parfois les demandeurs d’asile décident d’inventer pour avoir plus de chance d’obtenir le statut.
La méfiance est donc de mise. Celle des assistantes sociales, qui essayent de démêler le vrai du faux, mais aussi celle du spectateur. Lorsque Zahra, revenue des prisons et des naufrages, raconte avec un détachement étonnant son histoire tragique, la question pourrait venir au spectateur : invente-t-elle ?
Mais qui sommes-nous pour juger si quelqu'un doit pleurer ou non ? Faut-il pleurer pour convaincre ? Y’a-t-il un ton à avoir qui sonnerait plus « juste », plus « réel » ? Doit-on jouer la comédie, c'est-à-dire être dans la fiction, pour que le récit de sa vie prennent les teintes de la réalité ?
Les réalisateurs ne sont pas là pour décider de si une histoire est vraie ou non. Ils laissent la liberté au spectateur de croire en ces récits ou pas, d’adhérer aux histoires ou de les rejeter. Bories et Chagnard ne traquent pas la vérité des histoires que ces familles racontent, mais la vérité humaine des personnes qui se tiennent assises dans les bureaux de la Cafda. Cette vérité, cette détresse, ils la cherchent dans les regards, dans les à-côtés, en-dehors du bureau parfois. La vérité de la personne ne se situe pas dans le récit de ses épreuves, mais dans ce qu’elle vit au moment présent, sous l’œil de la caméra.
Ainsi, lorsque Zahra apprend qu’elle est convoquée à la préfecture et risque d’être renvoyée à Malte où elle a transité depuis la Lybie, ses larmes sont véritables, et disent quelque chose de sa peur, de son désespoir. Le danger ne la concerne plus seulement elle : elle tient son enfant dans ses bras. Et elle manque de tout pour s'occuper de lui.
La caméra est parfois embarquée dans le métro pour reproduire la découverte de la ville par les arrivants. La ville est alors scrutée comme un territoire nouveau, inconnu. Sous un œil neuf venu d’un pays lointain, ce paysage peut devenir hostile, effrayant. Comme si les arrivants restaient, encore et toujours, en voyage.
- Qui sont les « arrivants » ?
- Quel est le lieu où se déroule la majeure partie du film ? Quel est le rôle des personnes qui y travaillent ?
- Peut-on dire que les personnes filmées deviennent, par le travail des réalisateurs, des personnages ?
- Qui sont les travailleurs sociaux que nous suivons dans le film ? Quels sont leurs différents caractères ?
- Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les assistantes sociales ? Comment ces difficultés influencent-elles leur relation avec les personnes qu’elles reçoivent ?
- Quelle est la procédure en vigueur au moment du tournage du film pour une demande d’asile ? Comment s’inscrit-elle dans l’espace de coopération européenne ?
- En 2015, 24 % des demandes d’asiles faites par des primo-arrivants ont été accordées.
- Les réalisateurs ont passé un mois à la CAFDA sans qu’aucune famille n’accepte de tourner dans le film, de peur de possibles répercussions. Bien que cette structure compte majoritairement des personnes d'origine tchétchène, aucune n'a accepté d'être filmée par peur des représailles des services de renseignement russes.
- La première famille qui a accepté d’être filmée est la famille Kaneshamoorty d’origine tamoul
- « Les arrivants » marque la première collaboration entre Claudine Bories et Patrice Chagnard qui ont réalisé le film.
- Caroline, la plus jeune des assistantes sociales du film, a quitté la CAFDA deux mois après la fin du tournage et travaille à présent auprès d’un Juge pour enfants. Elle ne supportait plus la pénibilité de son travail ainsi que son impuissance face aux cas qu'elle rencontrait.
- Colette, l’autre assistante sociale, plus aguerrie, est maire de sa commune dans la grande banlieue parisienne. Au départ, elle ne voulait pas apparaître dans le film. Mais comme elle était l’assistante de la famille sri-lankaise que les réalisateurs ont filmé, elle a fini par accepter.
- Juliette, la juriste du film, a quitté ce travail fin 2009 et dirige aujourd’hui le service d’aide sociale aux réfugiés de la CAFDA.
- « Wong » n’est pas le véritable nom du couple mongol. Ils avaient une telle peur d’être « repérés » par leurs persécuteurs, même en France, que les réalisateurs ont préféré taire leur identité. Ils sont à présent parents d’une petite fille.
- La famille (éthiopienne) de Mulugheta est la première à avoir obtenu son statut de réfugiée. Le bébé, dans un état critique au moment du tournage du film, est aujourd’hui une petite fille en bonne santé.