Paris, 1943. Missak Manouchian prend la tête d’un groupe de jeunes Juifs, Hongrois, Polonais, Roumains, Espagnols Italiens, Arméniens, déterminés à se battre pour libérer la France qu’ils aiment, celle des Droits de l’Homme.
Face à leurs actions musclées et sanglantes, l’occupant et la police française contre-attaquent : filatures, dénonciations, chantages, tortures...tout est bon pour nuire à cette « armée du crime ». Ce film est leur histoire.
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Mails :
1. Impressionnante reconstitution historique,
2. Travail soigné sur les éclairages,
3. Touchante galerie de personnages d’origines diverses.
Avec « L’armée du crime », le réalisateur Robert Guédiguian fait un travail de mémoire pour réhabiliter le combat des résistants issus de l’immigration qui ont sacrifié leurs vies pour tenter de libérer la France du joug nazi. En nous plongeant dans leurs vies intimes, en nous montrant leurs doutes, il pose la question de la légitimité de la violence au sein d’une bataille idéologique. Et il fait entrer ces immigrés qui ont donné leurs vies pour « la France des Droits de l’Homme » dans la légende.
Prix :
Valladolid international film : Prix Spécial du Jury et Prix du Scénario.
Prix cinéma patrimoine de Paris : Mention spéciale du Jury.
Sélections en festival :
Festival de Cannes, Cannes, 2009.
Filmfest München, Munich, 2009.
Festival Résistances, Foix, 2009.
Valladolid international film festival, Valladolid, 2009.
Prix cinéma patrimoine de Paris, Paris, 2009.
Ankara international film festival, Ankara, 2010.
Les Rendez-vous de l'Histoire, Blois, 2015.
Diffusion TV :
Canal+ (16/10/2010)
Multithématiques
France TV – pôle France 3
Orange Cinéma Série
En 1943, la France est occupée et Paris est aux mains des troupes allemandes. Las des déportations, des actes de racisme et des stigmatisations, un mouvement de résistance constituée par la main d’œuvre ouvrière issue de l’immigration se crée pour participer à la libération de la France : il s’agit du FTP-MOI (« Francs-tireurs et partisans - main-d’œuvre immigrée »), dirigée dans l’ombre par les communistes russes, après la rupture du pacte germano-soviétique et l’invasion de la Russie par les nazis.
Ce mouvement de l’ombre décide de former une petite armée de résistants organisée, hiérarchisée, pour combattre avec efficacité et stratégie l’occupant allemand. Des « soldats » immigrés en France pour fuir les guerres, les génocides et le fascisme, prêt à se battre pour faire de la France le pays des Droits de l’Homme à nouveau. Ils seront vingt-trois à mettre leurs vies en danger au quotidien. Le film suit le parcours le Marcel Rayman, jeune champion de natation, Olga Bancic, qui doit abandonner son bébé à la campagne pour entrer dans la résistance, Thomas Elek, élève surdoué en Chimie, et surtout, Missak Manouchian, un poète rescapé du génocide arménien promu chef de cette armée clandestine. Tous d’origines diverses et variées, réunis sous la bannière du combat pour la liberté.
Au départ, chacun agit dans son coin : Marcel tue des occupants allemands lorsqu’il apprend que son père a été déporté, Thomas pose des bombes cachées dans des livres. Manouchian, lui, est emprisonné et doit signer, la mort dans l’âme, une déclaration sur l’honneur pour prouver qu’il n’est pas communiste. Lorsque le « groupe Manouchian » se forme, ils doivent commettre des attentats contre les troupes allemandes. Malgré son éthique personnelle, Manouchian doit lui aussi prendre des vies humaines.
Témoins de la rafle du Vel d’Hiv, le groupe de résistant intensifie ses coups d’éclat. Mais lorsqu’ils doivent lancer une grenade dans une maison de passe où les Allemands ont l’habitude de côtoyer des Françaises, ils hésitent : ils ne peuvent pas tuer des innocentes. Le FTP-MOI leur intime l’ordre de commettre un attentat sensationnel pour faire parler d’eux dans la presse. Manouchian et ses résistants abattent alors le général Ritter, qui dirige le Service du Travail Obligatoire.
En parallèle des actions du groupe Manouchian, le jeune commissaire David forme les Brigades Spéciales, dirigée par Pujol, un ancien policier du 11ème arrondissement. Filatures, tortures, tout est bon pour traquer « l’ennemi intérieur », juif, résistant ou communiste, au nom du « devoir patriotique ». Manouchian et son groupe sont alors considérés par la police française, qui collabore étroitement avec le régime allemand, comme des terroristes étrangers.
Pujol devient l’amant de Monique, une jeune femme juive qu’il prend sous son aile et manipule pour avoir des informations sur le groupe Manouchian, car Monique est également la petite-amie de Marcel. Monique dénonce les résistants du FTP-MOI en négociant qu’il n’arrive rien de mal à Marcel. Mais il est arrêté avec les autres.
Manouchian, encore libre, est alors aux abois. Mélinée, sa compagne, a peur pour lui, mais il doit se rendre à un rendez-vous avec le plus haut gradé du FTP-MOI, Joseph Epstein. Malheureusement, le supérieur de Manouchian, Petra, a été arrêté, et a parlé sous la torture, contrairement à tous les autres résistants du groupe. Manouchian est arrêté en même temps qu’Epstein.
Les Allemands veulent désamorcer toute velléité de résistance parmi le peuple français et chargent la police et la presse françaises de mener une campagne de propagande pour faire passer le groupe Manouchian pour de vulgaires terroristes immigrés qui œuvrent contre la France. Une affiche rouge avec leurs portraits en médaillon est conçue et les désigne comme « l’armée du crime ».
Le groupe Manouchian sera exécuté sans véritable procès. Dans sa dernière lettre à Mélinée, Manouchian affirme partir sans haine pour le peuple allemand, et croire en des jours meilleurs où les peuples du monde vivront en paix.
« Je continue à prétendre que toute réussite doit être collective », Robert Guédiguian.
Robert Guédiguian naît en 1953 et grandit dans le quartier populaire de l'Estaque, à Marseille. Après des études de sociologie à Aix-en-Provence, il emménage à Paris avec sa compagne, l’actrice Ariane Ascaride, puis travaille sur sa thèse avant de commencer à écrire pour le cinéma à la fin des années 1970. Il tourne son premier long-métrage en 1980 : « Le dernier été ». Il connaît le succès en 1995 avec « A la vie, à la mort ! », qui se confirme avec son film suivant, « Marius et Jeannette ».
Robert Guédiguian tourne tous ses films à Marseille jusqu’en 2004, où son film « Le Promeneur du Champ de Mars », qui raconte les derniers jours de la vie de François Mitterrand, le fait sortir de la cité phocéenne. En 2009, il présente son film « L’armée du crime » au festival de Cannes. Le réalisateur, prolifique, retourne ensuite filmer à Marseille pour les tournages de « Les neiges du Kilimandjaro » et « Au fil d’Arianne ». Il est de retour au festival de Cannes en 2016 avec son film « Une histoire de fou » où il poursuit sa réflexion sur les conséquences du génocide arménien.
Les noms des résistants sont scandés avec un ton immuable et atonal. « Mort pour la France ». Tous ces noms ont des consonances « étrangères ». A l’extérieur de la voiture de police dont les grilles barrent le paysage comme une prison, la France pour laquelle se sont battus Manouchian et son groupe de résistants continue sa vie comme si de rien n’était. Cet extérieur dorénavant inaccessible, parcouru de passants marchant sous une douceur printanière souligne la vie qu’ils n’ont pas eu, qu’ils n’auront jamais, car ils ont choisi de se battre contre l’oppresseur, abandonnant derrière eux tout espoir d’une « vie normale ». Tous les enjeux du film sont réunis dans cette première séquence, qui est, chronologiquement, la dernière. Le film commence par sa fin : elle est tragique et lumineuse. La lumière au cœur de l’ombre, l’espoir au cœur de l’oppression et des tueries, voilà toute la recherche du réalisateur Robert Guédiguian.
Les « portraits » des personnages défilent en même temps que la liste énumère leurs noms. C’est un hommage, mais aussi, un travail de mémoire, de réhabilitation. Le réalisateur met ces personnages en lumière, leur redonne corps grâce à l’incarnation des acteurs, pour les rendre réels au spectateur, les sortir des limbes abstraites de l’Histoire.
Serrés dans cette voiture-prison qui les conduit à la mort, Manouchian et ses résistants sont pourtant libres. Car ils ont choisi de se battre, ils ont décidé de leur destin – ils se sont battus pour la liberté. Les cadres sur les rues de Paris vues par la grille de la fenêtre de la voiture semblent indiquer que c’est cet extérieur qui est en réalité une prison à ciel ouvert. Plus loin dans le film, un plan sur la Tour Eiffel « rhabillée » par les Allemands marque visuellement leur emprise sur Paris. En 1943, elle est une capitale livrée aux arrestations abusives, aux déportations meurtrières et au racisme le plus froid et le plus primaire. Paris n’est pas libre.
« Mort pour la France », cette litote entêtante et héroïque contraste avec l’apparition du titre : « l’armée du crime ». Ce paradoxe parcourt tout le film : les résistants sont-ils des criminels ? Est-ce qu’un tueur est toujours un assassin ?
Au-delà de ce questionnement moral, cette opposition entre la voix off et le titre renvoie également à la propagande de l’époque qui a visé à décrédibiliser les actions du FTP-MOI (« Francs-tireurs et partisans - main-d’œuvre immigrée »), mouvement de résistance des immigrés pour lequel œuvraient Manouchian et son groupe. Le film ne comporte aucune archive filmée, mais est parcouru d’archives radiophoniques de l’époque, issue de Radio-Paris, qui participent activement de la propagande anti-juive et exacerbent les préjugés sur les immigrés, ainsi que de la décrédibilisation des actions des résistants, expliquant qu’elles nuisent aux Français avant de nuire aux Allemands.
Cette propagande naît dans un cadre de collaboration étroite entre les médias de l’époque et le régime de Vichy sous contrôle allemand. L’affiche rouge qui clôt le film en est la plus exemplaire incarnation : police et presse françaises travaillent main dans la main pour forger un document propagandiste ayant pour but de faire passer les résistants du FTP-MOI pour de simples criminels aux yeux de l’opinion publique. Le groupe Manouchian est donc doublement anéanti : ses membres sont exécutés, et discrédités par l’affiche rouge qui sera placardée dans toute la France.
Le film travaille à aller découvrir les vies qui se cachent sous les photos qui constituent cette affiche. Montrer l’humain, au-delà de la simple figure. Montrer les désirs, les espoirs, les idées. De simples photos sur une affiche deviennent réelles.
La vie des résistants du groupe Manouchian est faite de sacrifices absolus au nom d’un idéal qui les dépassent. Le couple russe Olga et Alexandre abandonnent leur bébé, Dolorès, pour poursuivre le combat pour la libération. Ils devront se séparer à leur tour pour le bien de l’organisation. La résistance est un déchirement.
Thomas, adolescent juif né à Budapest, laisse derrière lui une scolarité exemplaire – il veut devenir physicien. « Vous êtes en train de tout gâcher » lui dit le proviseur de son lycée. Thomas sacrifie sa jeunesse, sa carrière, son destin, pour lutter contre la tyrannie. Un résistant n’a jamais l’avenir devant lui. « Résistant c’est vraiment pas un métier d’avenir » dira Marcel. Mais pour Thomas, c’est une évidence : « aujourd’hui, il est impossible de rester neutre ». Il faut prendre position, pour ne pas subir.
Manouchian lui est emprisonné, soupçonné de communisme. Il raconte son exil à ses camarades détenus. Il a vécu l’enfer pour échapper au génocide arménien. Il montre la photo de son grand frère disparu, comme le partage d’un souvenir, une relique précieuse. La caméra suit la photo passer de main en main comme un travail de mémoire, appuyant une volonté de passation, de transmission de l’Histoire.
Un résistant passe son existence sur le qui-vive. Dans « L’armée du crime », un silence pesant et inquiet s’abat à chaque fois qu’on entend frapper à la porte. C’est une vie qui oscille entre intensité, soif d’exister pleinement, et crainte constante. Le résistant est un funambule dont l’équilibre peut basculer à tout instant. Il vit sur la corde raide. « Tu crois qu’il y a une bombe dans le landau ? » demande Olga avec un amusement désabusé en regardant par la fenêtre barrée de la voiture-prison qui les conduit à leur perte. Dans cette phrase, l’évocation à la fois anodine et puissante d’un quotidien violent qui détourne et corrompt les images les plus innocentes. Être résistant, c’est perdre son innocence. C’est voir une grenade potentielle dans chaque poignée de main serrée.
Le film appuie cette tension, cette reconfiguration du réel où tout devient hostile, où chaque traversée de rue est une nouvelle mise en danger : les personnages passent leur temps à regarder derrière eux, à demander à l’autre si personne ne l’a suivi. Ils ne sont pas des héros surhumains, le film au contraire les met en scène comme des gens simples qui basculent dans la résistance pour des raisons propres à chacun. Le quartier juif-polonais où vivent Marcel et Henri Krasucki est un lieu modeste où habitent des travailleurs ouvriers qui vivent ensemble et partagent un bout de rue. Suite à la rafle du Vel d’Hiv, nous revoyons les mêmes images de ce quartier, mais vidées de leur présence humaine. Cette absence dans l’image, qui auparavant regorgeait de vie, a quelque chose de la désolation. Dans ce manque, cette disparition de l’humain du décor, Guédiguian évoque subtilement toute l’horreur des déportations.
Pourtant, les immigrés croyaient dur comme fer que rien de tel ne pouvait leur arriver au pays des Droits de l’Homme. « On est en France, il peut rien nous arriver ici. C’est le pays des Droits de l’Homme. Et puis on n’est pas des clandestins, nos papiers sont en règle » dit madame Elek à son fils Thomas.
Si Manouchian est le personnage principal du film, il en est pourtant quasiment absent durant les vingt premières minutes, arrêté abusivement par la police française. Le film célèbre l’héroïsme ordinaire, à l’image de Mélinée qui rejoint le camp allemand pour apporter un colis à son mari. Lorsque Manouchian regagne Paris et réinvestit le récit, il revient brisé : il a signé une déclaration sur l’honneur pour prouver qu’il n’est pas communiste. Ses camarades de cellule ont tous été exécutés. Surcadré par la porte de la salle de bain (c’est-à-dire que l’encadrement de la porte fait comme un cadre dans l’image, ce qui crée un sentiment d’enfermement), il paraît encore en prison. « J'ai honte d'être encore en vie » dit-il, avant d’ajouter : « je suis trop sale », faisant référence à sa saleté physique due aux conditions de son emprisonnement, mais également de la trahison de ses principes moraux. Lorsque Mélinée le nettoie, elle le lave de ses péchés. Elle le ramène à la vie.
Pendant toute cette première partie du film, Robert Guédiguian met en scène des histoires éclatées, chacun agit de son côté, en électron libre. Il montre l’intime des personnages : où ils habitent, comment vivent leurs familles ; nous sommes dans la chronique, dans l’étude de la vie quotidienne sous l’occupant allemand. Robert Guédiguian s’éloigne donc du film d’action traditionnel afin de faire ressortir l’humanité de ses personnages et de nous les rendre plus proches. En montrant leur vie de tous les jours, il évite d’en faire des figures de héros abstraites.
Au départ Marcel et Krasucki se battent avec des tracts qui prônent la désobéissance civile. C’est lorsque Marcel apprend la déportation de son père qu’il bascule dans la criminalité et commence à abattre des officiers allemands. Il leur demande à chaque fois du feu pour allumer sa cigarette. C'est le feu qui est en lui, le feu qui s'est allumé à la mort de son père. Marcel est poussé par la colère, par la vengeance, autant que par une soif de justice, qu’il répand par le feu – celui du pistolet.
Thomas bascule dans la criminalité au même moment que Marcel ; au montage, leurs scènes sont juxtaposées et fonctionnent ensemble. Thomas se sert d'une vieille édition du « Capital » de Marx pour y cacher une bombe. L’œuvre de Marx, qui a fondé la pensée communiste, devient, littéralement, une bombe : la littérature est une arme. Il fait exploser une librairie remplie de littérature collaboratrice (la littérature est une arme dans un camp comme dans l’autre) vantant les mérites de Vichy et du maréchal Pétain. A travers la métaphore des livres, ce sont deux courants de pensée qui s’affrontent : Marx contre Pétain, l’idéal communiste contre le fascisme national socialiste.
Thomas s'allume une cigarette en sortant de la librairie, faisant écho aux cigarettes de Marcel : les deux jeunes hommes sont animés par le même feu. Sont-ils tous deux atteints de la « maladie des partisans », « quand ils se croient invulnérables et qu'ils mettent tout le monde en danger » ?
« Mon petit orphelin », « ma petite orpheline » s’appellent entre eux Manouchian et sa compagne Mélinée : leurs familles ont été tuées pendant le génocide arménien. Mais ils sont aussi orphelins de l’Arménie, de leur pays qu’ils ont dû quitter. Manouchian fait son discours devant la communauté arménienne : une communauté entière orpheline d'un pays et de familles massacrées. Une communauté qui forme une famille.
Tous les résistants du FTP-MOI sont des orphelins, rescapés des guerres et des fascismes, et il s’agit dans « L’armée du crime » de reconstruire une famille, comme le dit madame Elek face aux résistants réunis dans son restaurant. Une famille « patchwork », recomposée, soudée par la solidarité contre l’oppresseur et par l’idéologie communiste.
Sur le parvis du Trocadéro, tandis que le journal annonce que les Allemands envahissent la Russie, « l'Internationale » accompagne les images en bande-son. Cet idéal international est celui qui réunit tous les personnages, qui transcende les frontières, les origines et les nations. Au « Fer à cheval », Olga joue l'Internationale en faisant teinter des verres, soulignant encore cette idée d’une idéologie supérieure qui réunit des étrangers, qui parlent avec des accents différents, qui sont de nationalités différentes, mais qui se battent dans un même but. Juifs originaires d'Europe de l'Est, Italiens antifascistes et républicains espagnols mettent leur vie en jeu pour un pays qui n’est pas le leur. En combattant le nazisme en France, ils combattent tous les génocides et tous les fascismes du monde.
De cette famille de résistants va naître une armée. Les actions isolées convergent pour se constituer en tant que groupe. Il faut s’organiser, avec des ordres, des chefs, des soldats, une discipline. Devenir le miroir de ceux qu’on affronte. L’individuel doit se fondre dans le collectif, ce qui crée parfois des tensions internes avec les plus jeunes qui résistent à l’autorité. Marcel est amoureux de Monique et commet des imprudences, de plus, il veut continuer à nager et est exposé à la médiatisation lorsqu’il gagne une compétition. Il continue d’abattre des officiers allemands de son côté même après avoir rejoint le groupe Manouchian. Lui et Thomas ne sont pas des moutons dociles prêts à obéir à n’importe quel ordre.
Au sein du FTP-MOI apparaissent également des tensions idéologiques. « Moi j’obéis pas à un stalinien » dit le jeune arménien Henri en parlant de Petra, un des leaders du mouvement. L’image du stalinisme vient entacher leur combat : eux sont marxistes, mais pas stalinistes. Les relations entre les membres du Groupe Manouchian et les dirigeants de la résistance communiste sont montrées comme parfois difficiles et des désaccords surviennent. Comme Manouchian qui, au départ, refuse de tuer car cela contrarie son éthique personnelle.
La première fois que Thomas apparaît dans le film, il dessine des symboles communistes sur les murs de son lycée. Un élève le traite de « sale youpin », lui intimant l’ordre d’effacer les symboles, avant d’ajouter « et après je te ferai lécher mes godasses ». Cette entrée en matière du personnage montre à quel point les juifs subissaient le racisme, pas seulement de la part des Allemands, mais aussi de celle des Français. Plus loin dans le film, alors que Thomas rejoint le restaurant de sa mère, il découvre une affiche « entreprise juive » placardée sur la devanture. « Des Allemands ? » demande-t-il à sa mère. « Non, des Français. Tous jeunes » lui répond-elle.
Lorsque Manouchian est arrêté par la police française au début du film, on le traite de « sale métèque ». C’est également en ces termes que la concierge qui se rend au commissariat du 11ème arrondissement pour aller trouver le commissaire Pujol parle du résident qu’elle soupçonne de lutter contre le régime de Vichy : elle a cru sentir du soufre venant de son appartement. « Vous voulez dire que c’est le diable ? » s’amuse Pujol. Mais cette phrase, pas si anodine, montre la diabolisation des résistants immigrés à l’œuvre par la police française, pour qui le groupe de Manouchian était constitué purement et simplement de « terroristes étrangers ».
Parallèlement à l’action des résistants, on voit se mettre en place la « Brigade Spéciale » chargée par le régime de Vichy d’arrêter les résistants en collaboration avec l’armée allemande. Le film met en avant une police française particulièrement obstinée et efficace pour traquer les résistants. En 1943, l'ennemi de la police française est le communisme et non l'envahisseur allemand. Pour la police française, l'armée allemande devient un atout pour lutter contre le « Bolchevisme » : « notre mission de répression est une mission hautement patriotique » dit le chef de la police.
Devant l’efficacité des tortures organisées par le commissaire David, responsable des brigades spéciales, un haut officier allemand ne peut s’empêcher d’être admiratif : « même les SS ont des leçons à apprendre. Notre collaboration est au-delà de mes espérances ». Robert Guédiguian nous rappelle ainsi qu’aucun soldat allemand n’avait participé à la rafle du Vel d’Hiv : l’opération fut avant tout française.
Le commissaire David est un pur carriériste, et les carriéristes n’ont pas d’idéologie. Ils sacrifient leurs idées à leurs ambitions et reproduisent un schéma mimétique fondé sur l'archétype d'une réussite sociale. « A 34 ans je suis commissaire principal, qui dit mieux ? » Un carriériste assied toujours sa réussite sur l'échec et la souffrance des autres. On ne réussit qu'en faisant échouer, on ne s'enrichit qu'en appauvrissant. Le commissaire David base son ascension éclaire sur la traque de résistants contre l’oppression allemande. Froideur et pragmatisme le caractérisent.
Pujol est un personnage plus complexe. La première fois qu’il assiste à la torture, la caméra insiste sur son regard, et on comprend qu’il ne cautionne pas, même s’il se tait. Il est tiraillé entre son humanité et ses fonctions. Au départ simple policier de quartier, il va se retrouver embrigadé dans une mission qui le dépasse et va le corrompre. Il fait de Monique sa maîtresse en lui mentant sur ses parents qui ont été déportés à Auschwitz. Et s’il essaie de sauver Marcel (en vain) pour honorer sa promesse, il va être responsable de la trahison de Monique et de la chute du groupe Manouchian. Pujol est un personnage qui perd progressivement son humanité. Un rouage de la machine.
Robert Guédiguian contraste tout le même cette vision dénonciatrice de la police française sous l’occupation avec le personnage de l’inspecteur Mathelin qui apparaît lors de deux scènes. Dans la première, il donne à Mélinée des nouvelles de Manouchian et lui indique où il a été emprisonné. Il doit ensuite la frapper pour ne pas éveiller les soupçons de ses collègues. Dans la seconde scène, Mathelin a été arrêté et est torturé. A travers ce personnage, le réalisateur montre qu’il y avait aussi des sympathisants de la résistance au sein de la police française, même si le personnage de Mathelin apparaît comme isolé – l’exception qui semble confirmer la règle. Mais sans exception, pas de résistance. Sans exception, pas de changement.
Le film met en avant le courage des résistants qui n’ont pas cédé sous la torture. L’un des compagnons de Boczov se fait brûler le ventre au chalumeau. Pour tenir, il fixe son regard par-delà les grilles de la fenêtre, sur les fleurs au-dehors. Ces grilles renvoient à celles de la voiture dans laquelle Manouchian et son groupe étaient emmenés au début du film. Eux aussi contemplaient l’extérieur. La beauté du monde extérieur, c’est la raison pour laquelle ils se battent.
La grille à nouveau, qui se tient entre Monique et Krasucki, quand elle fait croire qu'elle veut rejoindre les jeunesses communistes et devenir agent de liaison. Cette grille qui renvoie à celle de la voiture-prison, à celle de la fenêtre de la chambre de torture, et qui scelle le destin des résistants : c’est cette rencontre entre Monique et Krasucki qui conduira à l’emprisonnement du groupe Manouchian. Ce n'est pas un membre du groupe qui craquera sous la torture et dénoncera le chef arménien, mais Petra, l’un des leaders,.
La tension entre intérieur et extérieur, enfermement et liberté, est également sensible lors de l’arrestation de Thomas, agrippé au vasistas, le buste dehors, les jambes à l’intérieur. S’il parvient à se hisser à l’extérieur, il reste libre. S’il lâche et retombe dans son appartement, c’est la prison, la torture. Plus tôt dans le film, la famille Elek doit vivre cachée dans une cave suite à la rafle du Vel d’Hiv. Lorsque Mélinée va les retrouver pour leur annoncer l’arrestation de Thomas, les personnages sont surcadrés par la porte : ils sont comme en prison.
La résistance, c’est « l’armée de l’ombre » comme titre un journal après l’assassinat du général Ritter. Une évocation en même temps qu’une référence au film « L'armée des ombres » de Jean-Pierre Melville sorti en 1969, qui faisait la chronique d'un réseau de résistants et traitait de la torture. Dans « L’armée du crime », les éclairages favorisent le « clair-obscur » : les résistants sont très souvent filmés entre ombre et lumière, à la lueur de lampes à pétroles ou dans des rues sombres éclairées par des réverbères timides.
Cette dominance de l’ombre, de l’obscurité à l’image, renvoie au statut « souterrain » du groupe Manouchian ; ils sont une armée secrète, une armée de l’ombre. Lors de sa première scène dans le film, Petra, l’un des dirigeants du FTP-MOI, apparaît dans l’ombre, dissimulé par l’obscurité. Mais ce travail des contrastes évoque également le tiraillement des personnages entre ombre et lumière, entre le bien et le mal, la morale et le devoir de résistant : ils se battent pour la paix et la liberté, mais doivent tuer au nom de leur idéal.
« Tu sais ce que c’est un partisan ? C’est un partisan de la vie. On est le parti de la vie contre le parti de la mort. On tue des hommes, mais on est du côté de la vie » dit Alexandre, le compagnon d’Olga. Beaucoup de scènes dans le film sont en effet une ode à la vie : pique-nique au bord de l’eau, retrouvailles autour d’une table au restaurant de madame Elek, fête arménienne...Les résistants incarnent ce paradoxe : ils donnent la mort mais sont du « du côté de la vie ». Manouchian lui est incapable de tuer, c’est contre son éthique personnelle.
La première fois qu’il tient une arme, Manouchian s’entraîne à tirer sur une affiche du maréchal Pétain qui incarne le régime de Vichy. Manouchian prend les armes pour se révolter contre un système. C’est lors de la première opération de son groupe qu’il bascule, décidant d’envoyer lui-même la grenade sur la troupe allemande. « Il se passe quelque chose d’extraordinaire » dit Marcel. Ce qu’il se passe, c’est la trahison par Manouchian de son éthique personnelle, qui traduit son investissement définitif dans le combat de la résistance. « J'ai toujours pensé que la vengeance était un sentiment horrible. Quand on a commencé, on ne peut plus reculer. On ne peut plus jamais revenir en arrière » confiera-t-il à Mélinée.
Manouchian s’avance vers la troupe allemande. Un cadrage frontal et un montage dynamique opposent l'escadron allemand et le résistant : un homme seul contre un groupe. Lorsque Manouchian passe à côté des soldats, des images de jambes qui marchent au pas, ainsi que la photo de son frère, se superposent en surimpression (c’est-à-dire « par-dessus » l’image). Ce sont les souvenirs traumatiques du génocide arménien qui remontent à la surface, qui se rappellent à Manouchian.
Résister, c'est aussi se venger. Les images du génocide dans la tête, Manouchian lance sa grenade. Son visage est déterminé. Il n'est plus seulement un poète, il est aussi un soldat. Et un soldat ne considère pas l'humanité de son adversaire. Il tue froidement au nom d'un idéal. Tuer est-il héroïque ?
Robert Guédiguian ne met pas en scène la violence comme un spectacle complaisant. Il ne l’évite pas non plus. Il la montre frontalement et n’épargne pas au spectateur des cadrages sur les cadavres mutilés des Allemands tués par Manouchian. Guédiguian montre la réalité de la violence, son horreur. En donnant la mort, Manouchian fait en quelque sorte le sacrifice de son âme, comme pour expier le fait d’être encore en vie, alors que sa famille et ses camarades de prison sont morts.
Thomas est formé aux actions groupées par Boczov. Assis sur un banc, le républicain espagnol montre au jeune homme un attentat contre un car de nazis réglé comme une horloge : froid, tactique, rapide, efficace – une action stratégique où chaque résistant est un pion, à l’image du jeu d’échecs que Manouchian feint d’enseigner à Thomas pour tromper ses parents. L’individualité s’estompe au profit de la stratégie de groupe. Le film interroge comment mettre son individualité au service d'un collectif. Il cherche les raisons, les doutes, les principes qui constituent les personnages, traque comment le groupe peut trahir l'éthique personnelle, comment on peut s'y fondre, s'y trouver ou au contraire y disparaître.
La figure héroïque est ainsi questionnée, mise à mal. Marcel abat les officiers allemands par surprise, lâchement, tandis que la bombe que Thomas pose dans la librairie emporte dans son souffle soldats et civils sans distinctions. A chaque attentat, Manouchian sait que les Allemands fusillent des otages. Chaque action cause indirectement la mort de leurs camarades.
Manouchian et son groupe sont-ils alors, comme désigne l’affiche rouge et le titre du film, une simple armée de criminels ? Quittent-ils définitivement le « parti de la vie » pour celui de la mort ? Deux scènes essentielles laissent à penser l’inverse. Dans la première, Manouchian revient sur les lieux de son premier attentat à la grenade. Le cadrage insiste sur l’amertume de son regard qui se pose sur les cadavres mutilés des Allemands qu’il vient de tuer. Dans la seconde, les résistants ne parviennent pas à se résoudre à jeter une grenade au milieu d’une maison de passe fréquentée par les Allemands. « Y’avait trop de filles innocente, on peut pas faire des choses comme ça ».
Cette scène illustre parfaitement les conflits moraux qui animent les personnages. Planqués dans un coin de rue entre ombre et lumière, ils hésitent, entrent dans la maison de passe, ressortent, y retournent déterminés, abandonnent...ce va-et-vient est appuyé par un montage qui entretient le suspense en jouant sur la longueur des plans – par exemple, il n’y a pas de « coupe » entre le moment où Marcel entre et ressort de la maison de passe. Ils se retrouvent à chercher la goupille sur le pavé obscur, et la situation a quelque chose de prosaïque et de grotesque à la fois, même si elle évoque en filigrane le fait qu’un résistant vit, métaphoriquement, une grenade dégoupillée à la main. Ils finissent par regoupiller la grenade et boivent un coup tous ensemble. « On m'avait dit que t'étais un tueur aveugle et sanguinaire » s'amuse Manouchian en parlant de Marcel, appuyant le fait que le jeune homme ne colle pas à cette image de simple criminel.
Les soldats allemands non plus ne collent pas tout à fait à une image de machines à tuer sans cœur. La première fois que Mélinée rencontre un chef du FTP-MOI, des Allemands donnent un concert face à eux. Ce rapport à l’art, à la musique, humanise la figure de « l’ennemi allemand » de 1943, et rend d’autant plus difficile le choix moral des résistants.
Du côté du groupe Manouchian, l’art est une forme de résistance en soi ; du moins, il y participe : les personnages couvrent le bruit de l’impression des tracts de la résistance avec la musique d’un piano. La première apparition de Manouchian est sur une barque entre deux rives symboles d’un personnage tiraillé entre son éthique et son devoir, et partagé entre deux pays, la France et l’Arménie. La première chose à laquelle est assimilé Manouchian à l’écran est l’écriture d’un poème. Avant d’être tueur pour la résistance, il est artiste.
Lors de la première arrestation de Manouchian, ses poèmes sont éparpillés dans le couloir. Mélinée ramasse une feuille sur laquelle est écrite : « il avait appris le secret de l'amour ». L’art et l’amour sont intimement liés, et l’amour est résistance ; aimer, c’est résister à la haine. « Moi je mange une soupe avec la femme que j'aime, de quoi je me plains ? » répond Manouchian à Mélinée quand elle lui demande s'il est épuisé. La résistance est du côté de la vie, de l'amour, par-dessus tout.
La lettre de Manouchian en est la parfaite illustration : « je n’ai aucune haine contre le peuple allemand ». C’est cette absence de haine, même dans ses actions meurtrières, qui est célébrée par le cinéaste. Le groupe démantelé, soumis à la torture, Manouchian est filmé allongé sur un brancard comme un martyr, sur une musique religieuse. Une imagerie christique pour le faire entrer dans la légende.
Lorsque Mélinée apporte un colis pour Manouchian au camp de détention, un soldat allemand, touché et impressionné par son courage, accepte de transmettre le paquet. Mélinée tend une main à l'officier pour la lui serrer. Mais l’officier lui rend un salut militaire et lui dit très cordialement : « nous sommes des ennemis, madame ». Qu'est-ce qui fait un ennemi ? Le soldat ne semble ni méchant, ni injuste. Un ennemi ne se définit pas en terme de rivalités humaines mais de frontières et de conquêtes politiques. Les ennemis d'aujourd’hui sont les amis de demain, les alliés changent en fonction des contextes politiques. L'époque définit les animosités. Il y a ceux qui se plient à l'époque, et ceux qui voient au-delà, comme Manouchian qui écrivait dans sa dernière lettre sa conviction que des jours meilleurs viendraient, où les peuples du monde vivront en paix.
Pour raconter cette histoire, Guédiguian a plus que tout tenté d’éviter les « vieilles ficelles de cinéma » comme dit Marcel à son jeune frère Simon. Le cinéaste a refusé la spectacularisation de la violence, l’héroïsation primaire de ses personnages, et la diabolisation manichéenne du soldat allemand. La toute dernière phrase du film est à l’image de l’œuvre qu’il a voulu construire : « rend les dettes ». Avec « L’armée du crime », Guédiguian rend les dettes de l’Histoire.
- Pourquoi Marcel commence-t-il à abattre des officiers allemands ?
- Est-ce qu’un résistant est un assassin ?
- Quel rôle a joué la police française dans la traque des résistants ? Quelles étaient les méthodes des « brigades spéciales » ?
- Pourquoi peut-on dire que les membres du groupe Manouchian sont tous des « orphelins » ?
- Quel est l’idéal communiste de « l’internationale » pour les personnages du film ?
- L’art était-il une forme de résistance en 1943 ? L’est-il aujourd’hui ?
- Quels sont les éléments dans le film qui nous renseignent sur la vie d’un résistant en France dans les années 1940 ? Quels sont les sacrifices que font les personnages pour rejoindre la lutte ? En quoi peut-on dire que Manouchian fait un sacrifice moral ?
- Commentez cette phrase du film : « Leur armée c'est l'armée du crime, de la vengeance, et de la haine ». Comment comprenez-vous la dernière lettre de Manouchian disant qu’il « meurt sans haine pour le peuple allemand » ?
Pour aller plus loin :
- Consultez le dossier thématique réalisé par le Musée National de l'Histoire de l'Immigration.
- Consultez le dossier pédagogique réalisé par e-media.
- Robert Guédiguian, réalisateur du film, a des origines arméniennes et allemandes. C’est la dernière lettre de Missak Manouchian, résistant arménien exécuté par le gouvernement de Vichy, qui l’a convaincu de faire le film, car elle disait : « je meurs sans haine pour le peuple allemand ».
- Les comédiens ont pu faire la rencontre d’Henri Karayan, résistant de l’époque qui a connu tous les membres du groupe Manouchian.
- Simon Abkarian est d’origine arménienne, tout comme le personnage de Manouchian qu’il interprète. Robert Guédiguian a pensé à l'acteur dès le début de la conception du film ; pour lui, c’était une évidence.
- L’équipe de tournage a mélangé des décors réels et des décors en studio. 133 interventions numériques ont dû être menées après le tournage du film pour effacer des éléments modernes qui étaient présents dans des images tournées dans les rues de Paris.