De sas en sas

Chaque mois, à Fleury-Mérogis, des femmes rendent visite à un proche, un fils, un père, un frère, ou un compagnon incarcéré. Ce jour-là, en plein mois d’août, la canicule rend leur attente insupportable. A mesure qu’elles avancent de sas en sas, les liens se font et se défont, la tension monte jusqu’à ce qu’elles laissent exploser leurs rancœurs.

Thème(s): 
Public ciblé: 
À partir de 12 ans
Genre: 
Drame
Durée: 
78 minutes
Langue: 
Français
Arabe
Lieu Concerné - specifique: 
Maison d'arrêt de Fleury Mérogis (Essonne)
Date de sortie: 
2017
Réalisateur / Réalisatrice: 
Rachida Brakni
Comédiens: 
Zita Hanrot
Samira Brahmia
Fabienne Babe
Judith Caen
Production: 
Capricci Films

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CAPRICCI FILMS

Louise Fontaine

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1. Intense,

2. Diversité des personnages,

3. La place laissée aux femmes.

« De sas en sas » nous fait découvrir l’univers carcéral du point de vue des visiteurs. Dans ce groupe de personnages mixtes, de conditions sociales et de cultures diverses, des portraits de femmes forts et variés se dessinent au fil du récit. Leur souffrance nous rappelle que la privation de liberté atteint aussi ceux qui sont restés dehors.

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Fatma et sa fille Nora partent en voiture. La route semble longue jusqu’à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Arrivées sur place, elles retrouvent les habituées du parloir : Judith et sa petite fille Lola, Sonia la séductrice, Houria la bavarde qui aime se moquer. Il y a également Marlène, dont c’est la première visite en prison. Un groupe d’une dizaine de personnes, dont un seul homme, taiseux. Nous les suivons à travers la lente procédure carcérale. De portique en portique, de salle en salle. Depuis les vestiaires où Marlène découvre qu’il faut de la monnaie pour les casiers, et qu’il n’y a pas de papier dans les toilettes, jusque dans la salle d’attente qui ressemble à une grande cellule de prison.

Au fur et à mesure, nous découvrons les conflits intérieurs de chacune quant à la personne qu’elles viennent visiter : Judith ne veut plus venir voir le père de sa fille, car elle veut refaire sa vie avec quelqu’un d’autre. Nora n’a aucune estime pour son frère et voudrait que sa mère cesse de venir le voir. Houria est venue accompagnée de Nawel, qu’elle a fait venir en France pour marier son fils qui est derrière les barreaux.

C’est une journée de canicule et la chaleur devient de plus en plus insupportable. Les esprits s’échaudent progressivement. Fatma reproche à sa fille de ne pas être venue voir son frère depuis deux mois. Nora elle reproche à Judith de ne pas penser à Lola en souhaitant la priver de son père. Les sons d’une émeute retentissent à l’extérieur de la salle. Les gardiens abandonnent les visiteurs pour se charger du problème. La panique s’empare des femmes. Elles deviennent de plus en plus agressives entre elles, et des clans se dessinent de plus en plus nettement. La chaleur les rend folles, et les langues se délient : Fatma et Houria s’agressent verbalement sur la question de l’éducation de leurs fils. C’en est trop pour Nora qui se jette sur Houria. Une bagarre généralisée s’ensuit : les femmes s’empoignent avec violence en se roulant à terre, et doivent être séparées par les gardiens de la prison. Nora et Fatma, à l’initiative de la mêlée, sont privées de parloir. Fatma se confie à sa fille, et se demande comment elles ont pu en arriver là. 

La porte du parloir s’ouvre enfin. Chaque personnage se retrouve dans sa cabine, derrière sa vitre. Nous ne verrons pas les détenus.

« Quiconque a un proche en prison se sent également puni : c’est ce qu’on appelle la peine indirecte », Rachida Brakni.

Rachida Brakni est née le 15 février 1977. Après des études de théâtre, elle entre à la Comédie Française en 2000. Elle obtient le César du meilleur espoir féminin pour son rôle dans « Chaos » de Coline Serreau en 2002, et reçoit la même année le Molière de la révélation féminine pour son interprétation dans « Ruy Blas » jouée à la Comédie Française. Elle tourne par la suite dans de nombreux films avec des réalisateurs prestigieux et se lance dans la mise en scène au théâtre en 2009. « De sas en sas » est son premier long métrage en tant que réalisatrice.

« De sas en sas » débute sur un ventilateur : dès les premières secondes, nous comprenons que la chaleur sera un élément primordial du film. Dans cette première scène, nous suivons Fatma et sa fille Nora qui se préparent à partir pour la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Cette scène est filmée en « plan- séquence », c’est-à-dire qu’il n’y a qu’un seul cadrage qui dure toute la durée de la scène, sans montage. La longueur du plan permet de ressentir la langueur des personnages, leur manque d’enthousiasme quant à l’idée de partir rendre visite au frère de Nora en prison. Il y a déjà quelque chose de « larvé » dans cette première scène, quelque chose de lent et de procédurier, qui annonce toute la dynamique sur laquelle se jouera le film : un rythme lent, latent, fait de sur-places et de corps qui suintent. « De sas en sas » est un film sur l’attente.

La prison est mise en scène comme un lieu déconnecté de la réalité quotidienne. Le générique entier du film se déroule pendant la route en voiture séparant l’appartement de Fatma de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Le montage fait éprouver la distance parcourue, pour souligner que la prison est un lieu éloigné de la vie sociale. L’entrée des femmes dans la prison, sur un fond blanc lumineux, a quelque chose d'irréel et renforce cette sensation de pénétrer dans un espace abstrait, coupé du monde réel. 

Alors que les femmes attendent derrière les grilles, contre les murs en béton, naît la sensation que ce sont elles qui sont en prison. Elles sont souvent filmées de derrière les barreaux, pour accentuer ce sentiment, et les grilles des multiples ventilateurs évoquent encore les grilles de la prison. « De sas en sas » relate un enfermement qui dépasse celui des détenus. Tous les personnages sont en réalité prisonniers : quand quelqu’un va en prison, il entraîne ses proches avec lui, il les lie à la prison – la vie de ceux restés dehors s’organise en fonction de la prison. Le même constat s’applique aux gardiens : « dans deux ans je suis libre », dit le plus vieux d’entre eux, comme s’il était prisonnier au même titre qu’un détenu. Cette sensation culmine dans la dernière « salle d’attente », où les visiteurs sont enfermés derrière des grilles : la pièce devient pour eux comme une grande cage.

Dans la première partie du film, la réalisatrice Rachida Brakni privilégie les « plans larges », c’est-à-dire des cadrages qui permettent de montrer plusieurs personnages en même temps. Cela a pour effet de restreindre leur espace d’intimité : il y a toujours quelqu’un dans le cadre pour entendre ou regarder une conversation. Les personnages sont ainsi constamment mis en rapport par la promiscuité du lieu : les conversations appartiennent à tout le monde, tout comme les conflits personnels. Chaque dispute devient alors un spectacle donné aux yeux des autres. Rachida Brakni laisse de la longueur dans les plans pour donner le temps aux sentiments de surgir – elle crée ainsi un effet « cocotte-minute » qui conduit progressivement à l’explosion finale.

Lors de la scène du vestiaire, l’utilisation du « plan long » (un cadrage qui dure longtemps, sans montage) renvoie à la manière dont était filmée la première scène dans l’appartement de Fatma : on retrouve une dimension quotidienne, comme si la prison était leur seconde maison.

Dans le groupe de visiteurs, il n’y a qu’un seul homme. Il ne prononce quasiment aucune parole et se tient à l’écart des autres. Il s’efface pour laisser la place aux personnages féminins et agit en miroir silencieux. Son calme à toute épreuve est à l’opposé des comportements des personnages féminins qui vont passer par tout le spectre des émotions.

Ces femmes ont chacune un rapport différent avec la prison. Il y a celles qui se font belles, celles qui sont en colère, celles qui tentent d'amadouer les gardiens. Elles forment un groupe hétéroclite qui mélange les classes sociales, les origines et les cultures. La prison est aussi un lieu de mixité. La réalisatrice observe, à travers son groupe de visiteurs, des enjeux sociétaux et nous parle de questions d’immigration (« tu vas pas passer ta vie à raser les murs » dit Nora à sa mère) et d’éducation (comment élever un fils dans une cité où il y a parfois beaucoup de délinquance ?). 

Lola, la petite fille du groupe, se réfugie auprès de « Jim », son ami imaginaire, lorsque la pression est trop grande pour elle et qu’elle ne parvient pas à comprendre le fonctionnement de la prison, et celui des adultes. Marlène, elle, est une adulte, ou plutôt une version adulte de Lola : elle est tout aussi perdue que la fillette, mais ne peut pas se réfugier dans son imaginaire comme elle. Pour Marlène, il s’agit d’une initiation : apprendre à passer les portiques, à choisir le bon casier, à avoir toujours de la monnaie, à avoir des mouchoirs, car il n’y a pas de papier toilette. Marlène est le personnage par qui le spectateur découvre les règles de l’univers carcéral. «Je ne pensais pas que ça serait si dur » dira-t-elle.

Cette difficulté de se plier au milieu carcéral est accentuée par la chaleur de la canicule dont sont victimes les personnages. La sueur dégouline des visages humides, et « De sas en sas » est aussi un film sur la chair et la souffrance des corps. Une certaine sensualité s’en dégage parfois, qui s’incarne particulièrement dans le personnage de Sonia, la séductrice. Lorsqu’elle joue à séduire le gardien, alors qu’il lui fait passer le portique encore et encore, enlevant au fur et à mesure ses accessoires qui contiennent du métal, la caméra se rapproche progressivement de leurs visages, effaçant pour la première fois le décor de la prison pour se concentrer sur leurs bouches hésitantes. La voix du jeune gardien les ramène à la réalité, mais l’espace d’un instant, ils sont sortis de la prison.

Mais la canicule n’a pas que pour effet de mettre en avant la sensualité des corps. Elle échaude également les esprits. Les ventilateurs omniprésents viennent nous rappeler l’écrasante torpeur que subissent les personnages. Les conflits s’enveniment petit à petit, à mesure que la chaleur devient de plus en plus insoutenable. Une ambiance proche du western émerge, faite de conflits, de duels. Ce n’est pas pour rien que le film se termine sur Jim jouant de l’harmonica (référence au western  « Il était une fois dans l’ouest » de Sergio Leone).

Le processus de visite, avec les machines déficientes et les « fonctionnaires qui fonctionnent », achèvent de mettre à vifs les nerfs des personnages. Les passions s’attisent, tout comme l’animosité des conflits moraux que les uns et les autres se renvoient en miroir. La prison est un lieu qui absorbe l’énergie des personnages et les pousse à bout. Petit à petit, leur maquillage coule, se défait sous l’effet de la chaleur, comme si leurs masques tombaient. Les rivalités ressortent, les moqueries deviennent plus acerbes et les clans se distinguent avec de plus en plus d’évidence. 

La scène charnière du film, celle où a lieu le basculement qui conduira à l’explosion finale, se situe au moment où les sons d’une émeute parviennent aux visiteurs. La tension grandit face à cette menace invisible. À partir de ce moment, les cadres se resserrent. Les personnages sont de moins en moins réunis à l’image. Il y a une fragmentation par le montage qui correspond à la division du groupe. Tout au long du film, la tension est montée progressivement, avec des étapes marquées par la couleur des murs (grise lors de l’entrée dans la prison, bleue au vestiaire, jaune dans la « grande cage »). À chaque nouvelle pièce, la nervosité a grimpé d’un cran. Ce mouvement crescendo se fait dans l’absence totale de musique, au profit d’effets sonores qui donnent un sentiment d’oppression.

Le jeune gardien est nouveau lui aussi, il est l’équivalent de Marlène du côté du personnel de la prison, et est tiraillé entre son humanisme et les règles de l’établissement. Ce tiraillement s’exprime par le jeu très intériorisé du comédien qui ravale ses convictions face à son chef, mais aussi visuellement dans cette image où le personnage se tient contre le mur, entre les deux portes du parloir. Il est comme « coincé » entre deux portes, entre deux choix, deux façons d’exercer son métier. Lorsque Nora, poussée à bout par la chaleur et la sensation d’enfermement, s’en prend à lui, il explose et tente de l’étrangler. La violence est contagieuse : celle des détenus (avec le son des émeutes), celle du jeune gardien, celle des femmes qui se rouleront à terre en s’agrippant avec violence. La violence carcérale contamine tous ceux qui entrent en ses murs.

Au cours du film, les femmes ont été, chacune leur tour, enragées puis sages. Par alternance, elles ont attisé la violence, puis ont tenté de la résorber, prenant un rôle d’agresseur ou de conciliateur selon la situation. Cette dualité s’exprime collectivement lorsqu’elles s’amusent à se jeter de l’eau. Elles explosent de rire, un fou rire commun. Mais les rires se transforment en grimaces de souffrance quand l’alarme retentit. La violence contamine, car les joies et les peines se partagent et les destins semblent liés. 

Le pic de violence du film est atteint lors de la bagarre des femmes : le montage accélère, la caméra s’agite, un effet sonore angoissant prend le pas sur la bande-son. Puis un calme définitif retombe : toute l’énergie a été dépensée, et tout a été dit. « Je ne comprends pas comment on en est arrivées là » dit Fatma à sa fille, questionnant à la fois les raisons qui ont conduit son fils à sombrer dans la délinquance, et celles qui les ont poussées à se conduire elles-mêmes de manière enragée. Le cadrage est prêt de leurs visages, mais petit à petit la caméra recule pour faire entrer les portes du parloir dans l’image. C’est une façon d’exprimer, visuellement, le lien qui unit Fatma et Nora à la prison. Elles aussi sont assujetties à ce lieu : elles sont prisonnières de la détention du frère. Le film montre que n’importe qui, quand les conditions sont réunies, peut sombrer dans la violence aveugle.

On ouvre enfin les portes du parloir. Un cadrage montre la totalité de l’espace de la « cage », réunissant les personnages dans l’image. Tous à la même enseigne, tous égaux. Un même fardeau à porter. Le film se termine sur un mouvement de caméra latéral qui balaye les différentes cabines du parloir où s’installent les personnages. Chacun dans sa cage en verre, enfermé dans son histoire. Mais tous reliés par le mouvement de caméra. Ces histoires individuelles forment une histoire collective.

– Pouvez-vous recenser les lieux de la maison d’arrêt que doivent traverser les visiteurs ?

– Comment la réalisatrice fait-elle passer l’idée que les visiteurs sont eux aussi prisonniers ?

– Pourquoi la réalisatrice filme-t-elle les visiteurs comme des prisonniers ?

– Pourquoi le jeune gardien tente-t-il d’étrangler Nora ?

– Mettez en parallèle la scène de bagarre des femmes à la fin du film, et la scène qui ouvre le film dans l’appartement de Fatma. Quelles différences voyez-vous dans la façon de filmer ? Et dans l’utilisation de la bande-son ?

– Pourquoi n’y a-t-il pas de musique dans le film ?

– Pourquoi Nawell, la jeune femme voilée, se rebelle contre sa future belle-mère ?

– C’est pendant qu’elle rendait visite à un proche à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis que la réalisatrice Rachida Brakni a eu l’idée du film. Elle a été frappée par l’absence d’hommes parmi les visiteurs de la maison d’arrêt des hommes.

– Pour Rachida Brakni, la prison demeure « un des derniers lieux emblématiques de la République », en raison de la mixité sociale et culturelle qu’on y trouve.

– La réalisatrice s’est inspirée de la canicule de 2003, durant laquelle il s’était produit un début de mutinerie à Fleury-Mérogis à cause de la chaleur insupportable.

– Deux caméras ont été utilisées pour le tournage, afin de laisser la place aux acteurs d’improviser.